Fleury Michon, l’esprit des transitions
12/05/2022
Quelles technologies privilégiez-vous pour informer vos consommateurs ?
Jean-François Fournier : Les informations sont transparentes et accessibles sur l’emballage des produits, et sur notre site internet. Fleury Michon a été la première marque à adhérer à la démarche Nutri-Score. Aujourd’hui, 92 % de nos recettes sont Nutri-Score A à C. Nous avons également instauré un partage direct de nos données produits avec les applications alimentaires Yuka, Scan-Up, Allergobox ou Open Food Facts. Nous assurons ainsi leur transparence et leur fiabilisation sur l’ensemble des canaux de diffusion. Les mises à jour sont appliquées automatiquement. Enfin, nous testons le QR code : cette solution affiche le Nutri-Score, mais permet aussi de communiquer des informations qui vont au-delà de l’étiquetage réglementaire.
Pour mettre à disposition le plus d’informations possible, nous mettons progressivement en place depuis 2018 des solutions de partage automatique et quotidien de nos données produits auprès des applications volontaires et de leurs intermédiaires. Fleury Michon compte aussi parmi les entreprises signataires du projet NumAlim [1] pour garantir la fiabilité et la traçabilité des données communiquées par ces outils.
Quels types d’informations fournissez-vous en réponse aux attentes de transparence des consommateurs ?
J.-F. F. : Tout a commencé en 2016 avec les allergènes. Nous avons vu, avec la montée des applications alimentaires, la mise à disposition de données parfois inexactes. Dans un premier temps, nous avons pensé aux consommateurs allergiques pour lesquels une information fausse peut avoir des conséquences graves pour leur santé. Nous avons donc décidé de transmettre nos données en temps réel, en particulier les allergènes majeurs. Avec le Nutri-Score, la diffusion des données s’est élargie aux applications et à nos clients pour leurs sites d’e-commerce.
Avec le QR Code, nous allons un cran plus loin. Au-delà de la composition et des aspects nutritionnels, les consommateurs veulent connaître l’impact sur la planète, le lieu de production, l’origine de la viande, les conditions d’élevage, la rémunération des éleveurs, ou avoir des idées de recettes. Il est compliqué d’ajouter tout cela sur les emballages tout en maintenant une information à jour et lisible. En flashant le QR Code, les consommateurs pourront accéder à ces compléments d’informations disponibles sur notre site internet.
DSI, maintenance et marketing en tension
Pour accompagner la transition écologique, quels sont les nouveaux profils que vous recherchez ? Constatez-vous, sur le marché de l’emploi, des tensions dans certains de vos métiers ?
J.-F. F. : Fleury Michon regroupe plus de cent cinquante métiers. Dans tous les domaines, nous intégrons et pensons RSE. La transition écologique est une priorité : les acheteurs choisissent des fournisseurs qui prennent en compte cette dimension. La maintenance mène des actions pour optimiser la production et diminuer nos consommations d’eau. La R&D intègre l’écoconception et travaille à des solutions d’économie circulaire. En 2019, nous avons créé une cellule emballage qui se compose de quatre experts. Toutes les équipes sont concernées. Il y a des difficultés sur le marché de l’emploi depuis quelques mois. Nous constatons des tensions dans la direction des systèmes d’information, la maintenance et le marketing.
Intégrez-vous les analyses de cycle de vie (dont le bilan carbone) dans le développement de vos innovations ?
J.-F. F. : Nous avons défini une feuille de route pour nos emballages afin d’orienter tous les développements en termes d’écoconception. Un travail sur l’analyse du cycle de vie de nos produits a commencé en 2021, afin d’inclure ces données dans notre processus de conception, et d’identifier les leviers d’amélioration.
Nous avons structuré la R&D afin d’intégrer l’approche produit-emballage tant dans la partie développement que dans la partie recherche. Notre veille alimente notre stratégie en alliant l’écoconception à l’évolution des technologies et des matériaux, et en prenant en compte l’évolution de la réglementation. Le choix de partenariats de long terme avec des fournisseurs possédant une grande expertise est également crucial.
Carton, bois et verre
Quelles recherches engagez-vous pour réduire la part du plastique dans vos emballages ? Le papier y a-t-il un avenir ?
J.-F. F. : En dix ans, nos initiatives ont permis une économie de six mille tonnes. Nous avons réduit l’épaisseur de nos emballages plastiques : de l’équivalent de 8 % . Nous avons aussi réduit de 34 % le poids du plastique dans nos barquettes de surimi. Notre ambition est de proposer des emballages 100 % réutilisables ou recyclables en 2025. Une cellule travaille à ces questions sur trois axes : l’intégration de matière recyclée (25 % de plastique recyclé a été intégré à toutes nos barquettes de jambon) ; les alternatives au plastique (carton, bois, verre) ; l’amélioration de la recyclabilité (en préférant le PET au PVC, en diminuant le taux de plastique).
Quelles sont vos innovations récentes majeures ?
J.-F. F. : Citons notre gamme de plats cuisinés proposés en barquettes bois, depuis 2019. Conditionnées dans du peuplier français PEFC, ces barquettes permettent de réduire de 80 % l’utilisation de plastique par rapport aux emballages classiques. Une autre gamme de plats cuisinés, depuis 2021, est conditionnée dans des cassolettes en verre recyclables et réutilisables, grâce à un partenariat avec Verallia. Un emballage carton est apparu pour nos jambons « Bio & Responsable », soit 60 % de plastique en moins. Pour les filets de poulet cuisinés le plastique a été réduit de 60 % . Et du carton recyclable a été choisi pour le « Moelleux Surimi 14 bâtonnets ».
Pour développer ces solutions, nous avons adapté nos processus de fabrication et les procédures de qualité, afin de nous assurer du respect des normes de sécurité des aliments. Cela a nécessité des investissements importants pour l’entreprise, intégrés dans son plan d’investissements de 120 millions.
Règles comptables expérimentales
Tenez-vous compte de vos externalités comme une dette écologique dans votre bilan ?
J.-F. F. : Nous répondons déjà aux règles IFRS (International Financial Reporting Standards), le référentiel comptable applicable aux sociétés cotées sur un marché européen. En parallèle, nous travaillons depuis deux ans avec Excelia (Sup de Co La Rochelle) à un modèle expérimental de comptabilité fondé sur la méthode “Care”. Un salarié de l’entreprise rédige actuellement une thèse sur le sujet. Elle porte sur la performance de notre site de Cambrai, en tenant compte des impacts multicapitaux de son activité : la pollution des eaux rejetées après traitement, les accidents du travail, la formation des salariés, les émissions de CO2, etc. Cette démarche s’inscrit pleinement dans la politique de l’entreprise qui intègre les enjeux RSE au cœur de son modèle et qui publiera en 2022 sa douzième « déclaration de performance extra-financière ».
Quels partenariats avez-vous noués sur les plans industriel, scolaire et universitaire avec les acteurs de votre territoire ?
J.-F. F. : Fleury Michon est une entreprise vendéenne centenaire. Notre responsabilité passe par une présence active dans la vie de nos territoires. Sur le plan industriel, nous travaillons avec de nombreux intervenants locaux : fournisseurs de matériel, prestataires de stockage, de nettoyage, de maintenance, transporteurs… Nous participons à des projets collaboratifs comme Proxinov à La Roche-sur-Yon, qui concerne le développement de la robotique pour l’agroalimentaire.
Sur le plan scolaire et universitaire, Fleury Michon a lancé en octobre 2021 un programme intitulé « #CampusFleury » avec huit établissements [2] de la région Pays-de-la-Loire, pour valoriser les opportunités d’emploi dans l’entreprise et sensibiliser les étudiants à la diversité de ses métiers (marketing, informatique, maintenance, commerce, industrie, R&D...). Fleury Michon n’intervient pas dans les écoles, cependant nous accompagnons plus de vingt clubs sportifs. Depuis 2016, nous mettons à disposition de ces structures partenaires des kits pédagogiques. Ainsi, plus de cinq mille enfants sont sensibilisés chaque année à l’intérêt de l’activité physique et de l’équilibre alimentaire.
Modernisation de l’outil industriel
Sur les 120 millions d’euros de votre plan d’investissement, quelle part va aux usines et pour quelles finalités : nouvelles lignes de production, nouvelles machines ? Quelle part pour la digitalisation, la R&D ?
J.-F. F. : Ce plan lancé en octobre 2021 s’échelonne sur cinq ans. Il doit accélérer la mise en œuvre de notre projet d’entreprise « Aider les hommes à manger mieux chaque jour ». 90 millions d’euros iront à la modernisation des outils industriels. Cette part de l’enveloppe va à l’ensemble des outils de production, y compris les sites de la marque Paso [3], avec trois objectifs : la modernisation des outils informatiques, l’amélioration de la productivité et la sécurité des salariés. Une nouvelle palettisation centralisée est installée sur le site de plats cuisinés de Mouilleron-en-Pareds (Vendée).
En complément de cette logique tournée vers la performance, l’enjeu est d’accélérer la transition écologique, notamment pour les emballages. 15 millions d’euros sont destinés à l’innovation en R&D pour le lancement de produits. L’origine des ingrédients à partir de nos filières de qualité françaises (comme le Label Rouge) est privilégiée à chaque fois que possible. Fleury Michon veut aussi élargir son offre « conservation sans nitrites ». Enfin, 15 millions d’euros sont destinés à la digitalisation, pour accompagner l’évolution des habitudes d’achat de ses clients et des consommateurs. Un recrutement a eu lieu afin de coordonner l’ensemble des efforts nécessaires à cette transformation.
Privilégiez-vous le made in France dans l’acquisition de vos machines ?
J.-F. F. : Oui, quand la technologie existe, nous privilégions les fournisseurs français et même locaux. Nous développons aussi des machines spéciales ou prototypes avec des fabricants locaux ou français, notamment pour les équipements des procédés de fabrication.
Pionnier pour l’étiquetage de l’origine
Depuis l’invention du Label Rouge en 1960, quelles ont été vos initiatives dans la traçabilité des produits et la suppression des additifs ?
J.-F. F. : Depuis quarante-huit ans, Fleury Michon contribue à développer les filières de qualité : Label Rouge, Bio, Bleu Blanc Cœur, Filière bio, Filière française d’éleveurs engagés. Le groupe est très exigeant sur la qualité des viandes et le bien-être animal. Cela se traduit par des audits chez nos fournisseurs pour vérifier qu’ils respectent leurs engagements. Nous avons généralisé l’étiquetage de l’origine des viandes en 2016, sans attendre le décret du 1er janvier 2017. Nous avons pris des engagements en matière de réduction de sel et d’additifs et avons optimisé la majorité de nos recettes. Pour les plats cuisinés, nous nous fixons un maximum de trois additifs par produit, et nous élaborons nos recettes sur la base d’une liste de vingt additifs autorisés par les réglementations les plus strictes que sont le bio et baby food. Aujourd’hui, 90 % des plats Fleury Michon sont sans conservateurs.
Dès les années 1990, nous avons pris en compte l’avis des scientifiques et les attentes des consommateurs pour moins d’additifs. Parmi lesquels le nitrite de sodium. Il est présent dans certaines de nos charcuteries. Autorisé et réglementé (c’est l’héritier du salpêtre utilisé depuis cinq mille ans pour conserver la viande), il a un triple rôle : conservation, couleur et goût. Il est surtout une barrière sanitaire contre certaines maladies comme le botulisme. Grâce à d’importants investissements en recherche et développement, nous avons réduit progressivement la teneur en sel nitrité dans nos jambons, jusqu’à nous aligner sur la réglementation bio, la plus exigeante en la matière : un taux de 80mg/kg, deux fois moins que le seuil maximal autorisé par la réglementation européenne. Cette année, nous proposons dix-sept nouvelles références « conservation sans nitrites » en blancs de volaille, aides culinaires et halal. L’ensemble représente déjà 43 % de nos ventes.
Au cœur de notre démarche nutritionnelle, une place importante pour nous à la société civile . Depuis notre premier partenariat en 2003 avec l’Association française de prévention des allergies, d’autres collaborations ont vu le jour, avec l’Afdiag (intolérance au gluten), la Fédération française des diabétiques, ou l’AEBEA (information consommateur sur le bien-être animal).
Objectif deux tiers de porc français
La loi Égalim 2 vous a-t-elle conduit à renforcer la charte de la filière porcine et à la soutenir dans la crise qu’elle traverse ?
J.-F. F. : Oui. Le respect d’Égalim 2 par tous les acteurs est indispensable pour améliorer la situation de la filière. Nous avons la volonté de contribuer, à notre échelle, à la souveraineté alimentaire française. La France est notre premier bassin d’approvisionnement en porc.
Nous avons annoncé en février des engagements concrets : en augmentant le plus rapidement possible la part d’approvisionnement en viande de porc française, pour atteindre les deux tiers de nos achats, et cela tant que les cours resteront à des niveaux insuffisants ; et en basculant immédiatement l’approvisionnement de notre gamme de rôtis de porc en viande 100 % origine France.
La crise inflationniste amplifiée par la guerre en Ukraine aura des répercussions sur les filières, notamment à cause du prix des matières premières, de l’énergie et du transport. Égalim 2 et son esprit, comme l’a souligné le ministre de l’Agriculture, doivent aider à y faire face.