Mousline, enracinement français renforcé
24/11/2022
En 2023, Mousline fêtera ses soixante ans. Le changement de propriétaire de la marque annonce-t-il une renaissance, ou les invariants qui la singularisent l’emportant-ils ?
Philippe Fardel : Les deux. Après quatre années sans soutien publicitaire, promotionnel ni innovation produit, nous devons réactiver la marque en la réancrant dans le quotidien des Français. Elle doit répondre aux enjeux de son époque : praticité, accessibilité, goût, responsabilité durable et nutrition (NutriScore A ou B). Sur le plan des invariants, nous capitalisons sur l’aspect patrimonial de la marque : tendresse, convivialité, expertise, partage, famille, et bien sûr la gourmandise !
Plusieurs candidats se sont présentés au rachat de Mousline [1] auprès de Nestlé, qui la détenait depuis 1963. Pour quelles raisons avez-vous été choisis, par le vendeur ?
P. F. : Nestlé a vendu, car l’ancrage local de Mousline ne répond pas à sa stratégie mondiale, et sa profitabilité demeure faible par rapport aux normes du groupe. Le fonds FnB, fonds à mission spécialiste de l’agroalimentaire, a été séduit par la dimension « marque engagée » de Mousline, qu’il souhaite développer. Mousline enrichit son portefeuille de marques agroalimentaires comme Valade, spécialiste des fruits transformés, ou Éric Bur, producteur d’épicerie fine.
Lignes de production et logistique amont
Pendant combien de temps FnB s’est-il engagé à vous accompagner ?
P. F. : Il s’engage pour cinq ans à sept ans. FnB est historiquement un développeur, aussi vendra-t-il Mousline quand la marque aura atteint son plein développement.
Vous avez annoncé vouloir investir de 13 à 20 millions d’ici trois ans ; dans quels domaines ?
P. F. : Nous souhaitons optimiser les lignes de production pour permettre la rénovation des recettes et une meilleure qualité. Les services agricoles sont également concernés, nous souhaitons moderniser des outils un peu obsolètes, pour faciliter les arrivées de matières premières de pomme de terre et les échanges avec nos agriculteurs.
Quel est le degré de robotisation de vos procédés industriels (production et entreposage) ?
P. F. : Difficile de donner un chiffre précis. Tout aujourd’hui est automatisé et informatisé, monitoré par des systèmes informatiques et des robots. Ainsi, l’ensachage est totalement robotisé. Nous formons maintenant les salariés à la gestion et è la maintenance informatique.
Usine zéro carbone
À quoi travaille la R&D d’une marque comme Mousline ?
P. F. : Ses actions portent aussi bien sur la rénovation des recettes (approvisionnement, ingrédients…), les nouvelles variantes, ou les innovations sur les produits : contenant, usages…
En quoi un département R&D intégré à l’usine est-il un atout ?
P. F. : On peut en distinguer au moins trois : la proximité du produit fini, la connaissance de l’outil industriel et l’approvisionnement des produits au plus proche, dans un rayon de 25 kilomètres.
Quelle est la trajectoire de décarbonation de votre activité ?
P. F. : Notre usine est zéro carbone depuis 2019.
Quelles sont vos actions dans le domaine de l’écoconception des emballages ?
P. F. : Notre objectif est du 100 % recyclable en 2025. Aujourd’hui, le carton l’est, mais le sachet ne l’est pas encore en raison de barrières techniques nécessaires à la préservation organoleptique.
Pomme de terre 95 %
Depuis la suppression en 2013 de l’acide ascorbique et de l’huile de palme, quels sont les additifs que Mousline a encore supprimés de ses recettes ?
P. F. : Quelques dates : suppression du stabilisant diphosphate des recettes en 2015, suppression de l’acide ascorbique de la recette Muscade en 2016, suppression des arômes beurre et pommes de terre de Muscade en 2020. En 2022, nous avons rénové la recette Façon Presse Purée : suppression des sirops de glucose et huile de tournesol, lait écrémé en poudre, crème en poudre, protéines de lait, disulfite de sodium (sulfite), remplacés par du beurre de cuisine et de l’extrait de romarin, et augmentation du pourcentage de pommes de terre, de 87 à 95 % .En 2024, nous supprimerons l’émulsifiant E471.
Combien Mousline représente-t-elle d’emplois indirects en plus de ses deux cents salariés ? Combien de fournisseurs agricoles ?
P. F. : En tant que premier employeur de Rosières-en-Santerre [2], Mousline fait vivre la commune. Nous comptons 120 agriculteurs partenaires, très fidèles puisque certains représentent la troisième génération.
Le partenariat de Mousline avec les producteurs de la Somme va-t-il être renforcé ?
P. F. : Nous souhaitons réaffirmer notre ancrage local, et particulièrement notre partenariat avec les agriculteurs. Pour relancer notre marque et ses volumes nous sommes en quête de nouveaux agriculteurs locaux. Nous nous sommes inscrits dans les instances de la région Hauts-de-France dont Agro-Sphères, nous créons des liens avec les écoles, nous allons proposer des visites à des jeunes apprentis. Nous souhaitons ainsi enraciner davantage la marque dans son tissu local.
Retour sur les écarts de tri
Comment soutenez-vous les agriculteurs en cette période de hausse des coûts énergétiques ?
P. F. : Des négociations sont en cours pour les soutenir et des efforts ont déjà été faits en plus des contrats pluriannuels (deux ans), en cours jusqu’en juillet 2023, revalorisés de 6,5 % avec la récolte 2022. Si jusqu’à présent nous n’achetions pas les petites pommes de terre difficiles à associer lors de la cuisson avec les grosses, la sécheresse nous a conduits à les accepter, pour compenser la perte de volume et faire des fabrications spécifiques avec ces petites pommes de terre.
La sécheresse a eu d’importantes conséquences sur vos volumes ? Envisagez-vous des nouvelles variétés plus résistantes ?
P. F. : Elle a causé une baisse des récoltes de 20 à 25 % . Si nous avons été livrés par nos agriculteurs sous contrat annuel, nous avons dû tout de même dû compléter notre approvisionnement sur le marché spot français, à des prix qui se sont envolés de 120 € la tonne à 250 € – ils étaient à 30 € durant le Covid. Nous développons de plus petits calibres acceptés en usine, comme les pommes de terre grenaille.
Vos agriculteurs sont-ils formés aux actions en faveur de la biodiversité et de la préservation des sols (pratiques agricoles régénératives, agroforesterie, haies…) ?
P. F. : Nous développons le programme « Sols vivants », lancé par Nestlé en 2021 avec la fondation Eeathworm. Pour l’heure, dix agriculteurs sont impliqués sur cent vingt, et formés aux pratiques de l’agriculture régénératrice, aux outils de mesure de la fertilité et de la vie des sols. Ils doivent faire moins d’épandage, utiliser moins de phytosanitaire… Nous allons accroître le nombre de tests sur les nouvelles variétés de pommes de terre, augmenter leur résistance pour nous adapter aux changements climatiques.
Quel poids depuis un an ont pour vous les hausses de coûts (matières premières, énergie, transport, matériaux d’emballages) ?
P. F. : Leurs poids est significatif, avec des hausses à deux chiffres.
Réussissez-vous à répercuter ces coûts dans vos prix de cession ?
P. F. : Non.
Le quart du CA à l’exportation
Quelles sont vos ambitions dans la restauration hors foyer, qui pèse pour 20 % de votre CA ?
P. F. : La restauration collective (cantines, hôpitaux…) est un circuit à fort potentiel et les opportunités de développement existent aussi dans la restauration commerciale. Si nous sommes historiquement dans la restauration collective en raison des volumes, nous souhaitons, grâce à notre nouvelle recette Presse Purée, être présents en restauration commerciale. Les brasseries proposent de plus en plus de plats du jour avec de la purée. On simplifie le travail du restaurateur, qui aujourd’hui manque de personnel, en particulier pour éplucher les pommes de terre.
Quelles sont vos positions et vos ambitions à l’exportation ?
P. F. : Avec 70 % du marché des purées déshydratées en grandes et moyennes surfaces, Mousline réalise un chiffre d’affaires de 80 millions d’euros, dont 25 % à l’exportation, dans quinze pays européens. La marque n’est commercialisée sous le nom Mousline qu’en France et en Belgique. En Allemagne, elle s’appelle Pürell, et ailleurs (Espagne, Pays-Bas, Portugal…), Maggi.
La nouvelle entreprise souhaite abandonner Maggi et organiser un transfert d’ici deux ans, mais généraliser le nom Mousline poserait problème en raison de sa prononciation (proche de l’anglais Muslim, « musulman »). Nous souhaitons renforcer nos positions de leader en Belgique, aux Pays-Bas et en Espagne, consolider celle de challenger en Allemagne et saisir les opportunités de développement en Europe, et en BtoB hors Europe.
En termes d’emploi, connaissez-vous des tensions dans certains de vos métiers, à l’usine ou au siège social ?
P. F. : La crise du recrutement nous touche. Nous manquons de techniciens de maintenance sur le site de Rosières, et de contrôleurs de gestion au siège social. Nous allons relancer l’apprentissage, l’intégration de stagiaires apprentis.