D’aucy, agriculture connectée
10/03/2023
D’aucy est une coopérative. À quoi cela engage-t-il les agriculteurs ?
Charles Cernay : Bio ou durable, éleveur ou pur cultivateur, les mille six cents adhérents agriculteurs D’aucy sont riches de leur diversité, qui s’exprime dans la coopérative dont ils sont membres. Tous participent aux prises de décision, une femme ou un homme, une voix. Tous ont décidé d’entrer dans une démarche de transition environnementale, et de mettre en œuvre, quel que soit leur niveau de départ, des pratiques agroécologiques dans leurs exploitations.
Depuis quand les accompagnez-vous vers l’agriculture connectée ?
C. C. : L’utilisation des données est de plus en plus présente dans le quotidien des agriculteurs. Il existe une large diversité de sources de données, que ce soit des capteurs ou sondes embarquées sur les machines, des stations météo connectées, des outils d’aide à la décision... Autour de la donnée s’engage depuis quelques années une révolution agricole. L’écosystème en agriculture digitale (AgTech)¹ en France est en pleine expansion. De nombreuses levées de fonds amorcent des startups qui proposent une palette de solutions au service des acteurs agricoles et agro-alimentaires. Depuis le début, D’aucy est inscrit pleinement dans cette dynamique AgTech, et axe ses moyens, son expertise et son développement en ce sens.
En quoi l’agriculture connectée est-elle un atout, qu’il s’agisse du respect des règles sanitaires, de la traçabilité ou de la biodiversité ?
C. C. : Collecter les données, les traiter, les valoriser répond à plusieurs objectifs. D’abord, simplifier le quotidien de l’agriculteur en lui faisant gagner du temps, en automatisant certaines opérations répétitives à faible valeur ajoutée, en fluidifiant les tâches administratives, ou en optimisant la logistique et la planification de production. La donnée est aussi intéressante pour répondre aux défis du changement climatique, dont celui de la gestion de l’eau qui devient prégnant en Bretagne, et optimiser les pratiques vers des économies de cette ressource de plus en plus précieuse.
La donnée permet également de recentrer la relation technicien-agriculteur vers plus d’expertise ; déléguer certaines tâches à des algorithmes décharge le technicien d’opérations administratives et recentre la relation d’accompagnement des agriculteurs vers son cœur de métier, ses compétences de terrain.
La donnée n’est pas une fin en soi ; il est crucial que l’agriculteur soit toujours au centre de la réflexion et des arbitrages, de la prise de décision. L’approche AgTech facilite la vie de tous les jours par des solutions pragmatiques, objective certains éléments de pilotage des cultures en connaissance de cause, mais en aucun cas ne se substitue au bon sens paysan. Faire dialoguer en complémentarité les résultats de modèles obtenus par l’intelligence artificielle avec les savoirs empiriques et les connaissances techniques est la meilleure manière pour l’agriculteur de faire ses choix de façon juste et équilibrée.
La juste dose pour les fertilisants et les phytos
Comment favorise-t-elle la performance des pratiques agricoles ?
C. C. : Le traitement de la donnée épaule l’agriculteur dans sa prise de décision. Enregistrer les données, les interférer avec des sources comme les données satellitaires et les analyser permet de créer de nouvelles informations (à des échelles infra ou supra) et connaissances techniques que l’agriculteur peut consulter pour décider de certaines opérations culturales. Par exemple, anticiper les conditions météo pour l’application de traitements phytosanitaires, reconnaître certaines plantes adventices par analyse d’image, appliquer la bonne dose de fertilisation au bon endroit, au bon moment.
Autre apport de la donnée : la traçabilité des itinéraires de production (fertilisation, phytosanitaire) et le respect des normes réglementaires agro-environnementales. La gestion des données permet de capitaliser et d’historiser l’ensemble des pratiques agricoles à l’échelle d’une parcelle. Cette base de connaissances est un support important pour un diagnostic et un conseil de qualité et précis des techniciens au service des agriculteurs. Cet apport est particulièrement pertinent alors que la taille des exploitations grandit et que le nombre d’agriculteurs diminue.
Cette approche est aussi qualitative pour répondre à des cahiers des charges spécifiques de distributeurs, et connecter plus aisément les points de contact et les intermédiaires dans la chaîne de valeur agri-agro, de la fourche à la fourchette. À partir de données agronomiques et technico-économiques, des modèles peuvent être générés pour prédire en cours de campagne les rendements des cultures à l’échelle d’un bassin de production, et donc anticiper les volumes de collecte, suivre des dynamiques de croissance d’insectes ravageurs, et ainsi choisir les dates les plus adéquates pour appliquer les produits phytosanitaires et diminuer leurs doses.
À quels agriculteurs s’adressent les outils connectés ?
C. C. : Notre coopérative offre une grande polyvalence de production qui concerne tous les agriculteurs, qu’ils soient sensibilisés au numérique ou non. Notre vision est simple, pragmatique, et privilégie la création de valeur. Nul besoin d’être ingénieur, ou informaticien. Une grande partie des agriculteurs utilisent leurs smartphones, que ce soit pour des applications de météo, d’épidémio-surveillance, de suivi de comptabilité, de gestion administrative…
“Hackathons” digitaux pour hausser les compétences et dynamiser les équipes
Cette révolution technologique attire-t-elle de nouveaux talents ? D’aucy devient-elle une marque employeur pour les agriculteurs ?
C. C. : Oui, et ce n’est pas parce qu’on appartient à la nouvelle génération qu’on est plus attiré par le numérique, que l’on est plus porté sur les nouvelles technologies que des seniors de cinquante ans : ils sont eux aussi à la pointe du progrès.
Quelle formation nécessite-t-elle ?
C. C. : Pour l’accès au digital, il n’y a pas de formation pointue spécifique qui soit nécessaire aux agriculteurs. Cependant, en tant que coopérative, nous devons sensibiliser, accompagner et former ceux qui le souhaitent. C’est ce que nous sommes en train de réaliser au travers des « hackathons ». Ces événements de deux jours sont des moments de partage entre les adhérents et les salariés, facilités et encadrés par des experts. Nous invitons des producteurs, des techniciens et des salariés à conceptualiser, « prototyper » sur des cas d’usage simple, qu’ils rencontrent dans la vie de tous les jours. À l’issue de cet exercice, des maquettes d’application sont dessinées, à l’ergonomie pragmatique, comme solutions ad hoc et rapidement opérationnelles.
Ces hackathons sont également des moments de dynamiques d’équipes, de convivialité et de motivation communes dans la feuille de route du digital. Notre leitmotiv est que l’agriculteur reste au centre du processus de création et de fabrication des applications de demain. Au-delà du pilotage par la donnée, fondation indispensable, nous plaçons l’agriculteur, les techniciens et les salariés au centre, aussi bien dans les propositions que dans l’expérimentation des concepts de nos équipes IT.
Quels freins psychologiques, techniques, culturels faut-il lever ?
C. C. : Le digital n’est pas une finalité mais un ensemble d’outils. L’agriculteur demande à voir, il veut des preuves quand on lui présente les outils connectés. Il y a parfois un écart entre la promesse de vente et la réalité économique. Il nous revient, en tant que coopérative, de rationaliser, de labelliser les outils et les services, grâce à notre service de R&D et à notre équipe de data scientists.
Outre les applications mobiles, quels sont les outils d’aide à la décision (OAD) proposés aux agriculteurs ?
C. C. : Des OAD sur des sujets particuliers, par exemple pour l’agriculture de précision, la fertilisation grâce à des données satellitaires pour optimiser la dose des intrants, notamment en Bretagne, terre d’élevage où le contexte réglementaire conduit à être rigoureux sur la gestion de l’azote ; il y a en Bretagne des mesures environnementales très strictes par rapport à d’autres régions. Les OAD sont également utilisés dans le cadre des traitements phytosanitaires, pour l’épidémio-surveillance, identifier les maladies dues à des insectes, alerter les agriculteurs…
Plus de deux cents techniciens au service des agriculteurs
Qu’apportent les “farm management softwares” ?
C. C. : Ils se distinguent des OAD, qui répondent à une problématique précise (fertilisation du blé, évolution d’une maladie de l’orge…), en ce qu’ils donnent un aperçu intégratif des données de l’exploitation : traçabilité des cultures en termes de fertilisation et de traitement, données sur l’élevage (notamment l’indice IFT, indice de fréquence de traitement), proximité des cours d’eau, traduction des attentes de la politique agricole commune (PAC) au niveau parcellaire, gestion des flux d’azote, phosphore, potassium entre élevage et culture, gestion des stocks, vérification du réglementaire…
Combien la marque D’aucy compte-t-elle de techniciens de culture ? Et à quelle étape interviennent-ils ?
C. C. : Nous avons cent quarante techniciens de culture ou de production générale, quarante techniciens en prestations agro-environnementales qui accompagnent les agriculteurs en Bretagne sur le plan des mesures environnementales (ne pas utiliser des produits phytosanitaires près d’un cours d’eau, par exemple), quarante techniciens légumes.
Avez-vous adopté la blockchain pour vos produits ?
C. C. : Pas encore, mais nous faisons de la veille sur le sujet, qui est en cours de maturation.
L’agriculture était hier classée dans le secteur « primaire », elle combine aujourd’hui des éléments des secteurs secondaire, tertiaire voire quaternaire (IA)…
C. C. : Absolument, c’est ce qui attire de nouveaux talents. Le digital simplifie certaines formalités administratives et libère du temps pour d’autres activités. L’agriculteur-éleveur devient un entrepreneur, et son image est reconsidérée de manière positive.
Quelle est la part de vos légumes cultivés et conditionnés en France ?
Silvia Rama : 91 % des ventes en volume de la marque D’aucy sont des légumes origine France. Aujourd’hui ce sont mille six cents agriculteurs, dont mille trois cents en Bretagne, berceau historique de D’aucy, qui fournissent les six usines du groupe implantées au cœur de ses bassins de production légumiers. Pour pallier les aléas climatiques en Bretagne et étendre la gamme de légumes D’aucy, deux bassins de culture complètent les productions majoritairement bretonnes, en Centre-Val-de-Loire et dans le Sud-Ouest. S’y ajoutent la production de légumes méditerranéens en Espagne, et de haricots verts à Madagascar, en partenariat avec une coopérative de producteurs soutenus depuis plus de vingt ans par D’aucy. Haricot vert, petit pois, carotte, épinard, flageolet, betterave, céleri, et plus récemment légumes secs (lentilles, pois chiches ou haricots rouges) : ce sont 53 000 tonnes de légumes qui ont été vendues en magasin en 2021 sous la marque D’aucy, première marque nationale en volume.
Que vous apporte le label HVE ?
S. R. : Ce cheminement doit permettre à chaque agriculteur d’être certifié en 2023 : en bio, en haute valeur environnementale (HVE), c’est-à-dire le niveau 3 de la certification des exploitations agricoles), sous la bannière de la Charte D’aucy (équivalant au niveau 2 mais intégrant des exigences du niveau 3) ou en niveau 2. Et de le dire, en transparence. Sous la marque D’aucy, ces progrès sont valorisés au travers de gammes spéciales : la gamme « Bio Engagés » et la gamme « Bien Cultivés » (légumes issus d’exploitation HVE). Grâce à ces gammes, D’aucy permet aux consommateurs d’identifier le progrès vers des pratiques agroécologiques et de le soutenir directement : un système de réversion flèche cinq centimes du prix de chaque produit vers des exploitations qui mettent en œuvre la transition écologique.
Témoignage d’agriculteur
« J’utilise depuis quatre ans plusieurs outils d’aide à la prise de décision. Scanbean permet la prévision des maladies des haricots en fonction de l’historique des parcelles, de la météo ou de la biomasse des haricots, pour ajuster les interventions apportés. La sonde d’irrigation Sentek, implantée dans le sol, permet de mettre en évidence la quantité d’eau absorbée par la culture en cours et d’indiquer ses besoins précis, ce qui permet d’apporter de l’eau au moment opportun et en juste quantité. Depuis deux ans, j’utilise également une station météo connectée ainsi qu’un pulvérisateur avec ouverture-fermeture buse par buse gérée par GPS, ce qui permet d’être précis pour les interventions. Cette année, je vais mettre en place Ecorobotix, un pulvérisateur encore plus précis qui détecte les mauvaises herbes et permet un traitement localisé. Et je rejoins un groupe de travail de la coopérative, « agriculteurs numériques », qui va nous permettre d’estimer la biomasse des parcelles avec des photos satellites, pour être toujours plus précis dans les apports d’engrais, d’amendements et de fongicides. » (Bruno d’Hautefeuille, producteur de légumes et céréales, membre du conseil d’administration d’Eureden.)