Ferrero, un air d’Italie dans le bocage
06/03/2024
Comment décririez-vous votre implantation industrielle en France ?
Fausto Rotelli : Comme la plus normande des entreprises italiennes ! Il y a plus de soixante ans, la famille Ferrero a choisi d’implanter son usine française sur un ancien site textile dans la vallée de l’Austreberthe, à quinze kilomètres de Rouen. Aujourd’hui, notre usine de Villers-Écalles est le premier site de production de Nutella au monde, avec 600 000 pots par jour et le troisième pour Kinder Bueno, avec 2,7 millions de barres. Nous utilisons plus de cinquante pour cent d’ingrédients français, notamment 100 % pour le sucre, 80 % pour la farine et 53 % pour le lait. La quasi-totalité du Nutella et des Kinder Bueno classiques que vous trouvez dans les magasins français viennent de cette usine. Et nous exportons même 33 % de sa production en Europe. Au total, Ferrero compte mille quatre cents salariés travaillant en France, dont mille en Normandie, où nous avons aussi implanté notre siège social.
Quelle peut-être l’évolution de cette implantation française dans les prochaines années ?
F. R. : Il y a deux maîtres mots pour notre outil industriel : décarbonation et modernisation. Nous sommes résolument dans une voie où nous cherchons à limiter le plus possible notre empreinte environnementale. Nous avons notamment engagé le changement de fours et de chaudières dans notre usine, pour un fonctionnement à l’électricité. Cela fait sens, puisque nous achetons désormais 100 % d’électricité verte. Et la modernisation globale de l’usine sert à la fois à accompagner un plus grand confort de nos opérateurs et à un suivi optimal de nos procédés, et permet d’éviter des pertes et des gâchis de ressources. Pour ce faire, nous avons engagé en 2022 un nouveau cycle d’investissements de 36 millions d’euros, après les 120 millions investis entre 2012 et 2020. Cela montre l’importance de notre site français pour le groupe Ferrero.
Quels sont, selon vous, les atouts de la France dans l’industrie des PGC ?
F. R. : L’implantation de Ferrero il y a plus de soixante ans sur un ancien site textile n’a rien d’anodin : il y avait une main-d’œuvre qualifiée et disponible à l’époque. Il est toujours vrai que nous avons une main-d’œuvre très compétente en France. Mais il faut regarder aussi la vérité en face : nous avons besoin de réenchanter le secteur agroalimentaire, qui n’attire plus autant qu’avant, alors qu’il y a des emplois ! Nous avons la chance d’être dans un grand pays agricole, et qui doit le rester. Les territoires picards et normands sont pour nous des terres importantes dans notre approvisionnement, notamment pour le sucre et le lait. Enfin, je dirai que la France est un marché exigeant, mais qui est très propice aux innovations, et c’est une chance pour Ferrero, au regard de la grande diversification que nous avons opérée depuis 2016 : biscuits, glaces, tablettes, barres céréalières et protéinées, et bien d’autres à venir.
Des besoins dans les métiers de la souveraineté alimentaire
… et ses handicaps ?
F. R. : J’évoquais la main-d’œuvre, c’est un enjeu pour toute l’industrie agroalimentaire, mais nous avons aussi une formation très qualifiante en France et des lycées agricoles qui préparent l’avenir. Je crois également que les gouvernements successifs ont pris conscience de l’importance de l’alternance et de l’apprentissage pour nos jeunes, quels que soient les métiers, et il y a de beaux progrès dans ce domaine. Donc je regarde l’avenir avec sérénité.
En ce qui concerne les réglementations, on pourra toujours penser qu’elles alourdissent les entreprises, mais chez Ferrero, nous nous sommes toujours fixé des standards très élevés, que ce soit sur la qualité de nos ingrédients, leur empreinte environnementale et sociale, ou encore nos communications, pour qu’elles ne s’adressent pas aux enfants. Quand une réglementation prend forme, elle s’impose à tous, nous préférons le voir comme une manière de niveler le marché par le haut, à condition bien sûr que cela ne remette pas en question notre modèle d’entreprise.
De quoi auriez-vous besoin pour consolider votre outil français ?
F. R. : Je le disais, il reste des secteurs où l’on peine à recruter, notamment dans l’agriculture et l’agroalimentaire. Bien sûr, les entreprises ont la responsabilité de faire connaître leur savoir-faire et de proposer des conditions de travail attractives, mais il y a sans doute matière à investir dans ces métiers qui sont essentiels, surtout lorsque l’on prône la souveraineté. Beaucoup d’investissements ont été faits sur la souveraineté numérique – tant mieux. À quand la même détermination sur la souveraineté alimentaire ? En cela, le programme France 2030 mérite que l’on mette aussi en avant l’industrie traditionnelle.
Au sein de votre groupe, comment se déroulent les arbitrages entre les pays ?
F. R. : Déjà, nous avons la particularité d’être un groupe familial et mondial. Nous avons les avantages d’un grand groupe, avec un seul actionnaire. La famille Ferrero a toujours pris le temps pour les projets ou les investissements auxquels elle croit. C’est un luxe, dans un monde où tout doit aller toujours plus vite. Il n’y a pas nécessairement de concurrence directe entre pays, car chaque site présente ses particularités et ses spécialités. Nous ne produisons majoritairement que deux produits, Nutella et Kinder Bueno, là où d’autres sites peuvent en fabriquer une dizaine. Mais nous sommes parmi les plus importants pour ces deux marques. Concernant les arbitrages, le groupe adopte généralement une logique de pays à usine pilote, pour expérimenterer à une échelle restreinte et tirer des enseignements avant de déployer plus largement.
L’image France est-elle un avantage pour vos produits ?
F. R. : Oui, la France est reconnue pour son excellence agricole, de la même façon que l’italianité a le vent en poupe ! Nous revendiquons ces deux identités, qui ont de nombreux points communs : notamment celui de l’art de vivre et des moments de plaisir partagés. Et ça, ça nous parle forcément !
Propos recueillis par par Benoît Jullien (Icaal)