Mars, une tête de pont en Europe
14/03/2024
Comment s’inscrit votre implantation industrielle en France dans l’ensemble du groupe Mars ?
Romain Dumas : Le groupe Mars, cent pour cent familial, est présent dans quatre-vingt pays, avec plus de 140 000 salariés, appelés « associés », pour un chiffre d’affaires de 47 milliards de dollars. Sa dimension familiale garantit son indépendance financière et la possibilité d’une vision à long terme : nous pensons en termes de générations, ce qui nous permet d’investir de manière responsable et innovante pour l’avenir. Le groupe est connu pour ses marques de confiserie (M&M’S, Snickers, Freedent) mais possède aussi une division “food” avec le riz Ben’s Original, Ebly et Suzi Wan, ainsi qu’une division alimentation animale (Royal Canin, Pedigree, Whiskas, Sheba), qui est désormais la plus importante du groupe. En France, nous avons historiquement un poids agroalimentaire fort, avec huit usines et des cliniques vétérinaires. Une implantation dans nos territoires dont nous sommes fiers. Elle nous honore, tout autant qu’elle nous engage. Nous faisons rayonner le savoir-faire local dans les territoires, en France, mais bien au-delà, puisqu’environ 70 % de notre production est exportée.
Quelle est votre politique d’investissements ?
R. D. : Chez Mars, nous ne voulons pas faire de compromis entre croissance économique et urgence climatique. Nous avons publié une feuille de route qui précise notre trajectoire pour atteindre une réduction de 50 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2015. Nos investissements dans la transition environnementale ne sont pas un compromis entre planète et productivité, entre environnement et emploi, ils sont la condition sine qua non d’une croissance durable. Chaque année, environ 90 millions d’euros sont investis dans nos sites industriels. En 2023, ce sont 137 millions d’euros d’investissements que le groupe Mars a investis dans ses usines françaises, pour soutenir leur développement et leur pérennité. Ces investissements répondent à trois objectifs : accélérer notre transition environnementale, moderniser et digitaliser nos lignes de production, et augmenter notre capacité de production, par exemple les deux lignes sachets fraîcheur Mars Petcare à Saint-Denis-de-L’Hôtel, dans le Loiret, ou notre nouvelle ligne M&M’s Crispy à Haguenau, dans le Bas-Rhin.
Comment ces investissements contribuent-ils à la transition climatique ?
R. D. : Nous avons déjà accompli de nombreux progrès dans l’ensemble de nos usines. Notre objectif et de travailler à un monde plus vertueux demain pour les hommes et les femmes, les animaux et la planète. Durant les dix dernières années, nous avons réduit de plus de 40 % notre consommation de gaz. Depuis 2018, l’électricité que nous achetons en France est certifiée comme provenant de sources 100 % énergie renouvelable. Au total, nous avons réduit notre consommation d’énergies fossiles – gaz et électricité qui n’est pas issue d’énergies renouvelables – de plus de 60 % depuis dix ans. Et nous allons poursuivre et intensifier nos efforts dans les années à venir, grâce à l’exploration d’énergies renouvelables thermiques (solaire concentré, biométhane, biomasse, méthanisation, électrification, pompe à chaleur ou autre nouvelle technologie) pour atteindre notre objectif : 100 % de l’énergie achetée ou utilisée par nos usines en France seront d’origine renouvelable en 2040 et contribueront à l’objectif collectif de zéro émission nette à horizon 2050.
Protéger les sols par l’agriculture régénératrice
Avec quelles spécificités pour les outils français ?
R. D. : Certaines de nos usines en France sont pionnières au sein du groupe en matière de réduction de leur empreinte carbone. Depuis l’année dernière, notre usine de barres glacées de Steinbourg, dans le Bas-Rhin également, est entièrement alimentée par de l’énergie renouvelable. La production de nos barres est totalement déconnectée des énergies fossiles, c’est la première usine du groupe à avoir opéré cette transition. À Haguenau, notre usine de M&M’S, la première en Europe, est depuis 2014 très largement alimentée par de la vapeur verte ; 90 % de ses besoins en chaleur sont couverts par de l’énergie issue de la revalorisation énergétique des déchets de villes alentour. Cela a déjà réduit de plus de 60 % les émissions de gaz à effet de serre de l’usine par rapport à 2014.
C’est d’ailleurs à Haguenau que nous avons développé le premier pochon M&M’S en mono-résine recyclable, qui est un succès et en cours de déploiement à plus large échelle. Nous innovons aussi pour réduire les emballages sur l’ensemble de nos usines, par exemple à Saint-Denis-de-L’Hôtel dans l’usine qui fabrique historiquement les sachets fraîcheur Whiskas et Pedigree, et qui est équipée de nouvelles machines depuis l’année dernière permettant de remplacer les suremballages plastiques autour des boîtes par des caisses en carton.
Comment travaillez-vous avec votre amont ?
R. D. : L’amont de nos chaînes d’approvisionnement est complétement intégré dans nos objectifs qui portent sur les scope 1, 2 et 3. Il représente près de 40 % de nos émissions : c’est donc logiquement dans nos filières agricoles que nous investissons le plus pour lutter contre la déforestation, soutenir le recours à de nouvelles protéines pour remplacer le bœuf ou la volaille et repenser l’agriculture au sein de nos territoires, pour protéger les sols avec l’agriculture régénératrice. Nous avons à cœur de rendre nos filières plus modernes, plus durables et plus inclusives. Tous nos efforts en faveur de chaînes d’approvisionnement plus responsables contribuent à valoriser nos filières agricoles françaises, et donc nos territoires.
Pourriez-vous citer quelques exemples ?
R. D. : Nos associés Mars Food sont fiers de la success story de notre marque Ebly et de son ancrage cent pour cent local, made in Beauce. Le blé est cultivé à moins de 50 kilomètres de notre usine de Châteaudun, en Eure-et-Loir, par nos mille agriculteurs partenaires. C’est une façon concrète de s’approvisionner localement et de faire reconnaître et valoriser le savoir-faire de l’agriculture française à l’étranger, puisque plus de la moitié de la production de l’usine est destinée à l’exportation.
Nous sommes aussi très fiers de la signature en 2023 d’un partenariat entre Royal Canin et Soil Capital pour déployer des projets d’agriculture régénérative, en priorité en France et en Belgique, avec 250 agriculteurs qui modifient leurs pratiques agricoles pour mieux protéger les sols et limiter les émissions.
Restaurer la compétitivité agroalimentaire
Quels sont, selon vous, les atouts de la France pour l’industrie des PGC ?
R. D. : La France a une place cruciale pour le groupe Mars, non seulement d’un point de vue historique mais pour maintenir une industrie agroalimentaire de premier choix et de qualité, tournée vers l’avenir et au cœur de l’Europe. La France est reconnue pour ses nombreux atouts en matière de main d’œuvre et de savoir-faire, d’infrastructures, d’efforts apportés à la réduction de la fiscalité pour les entreprises et la formation, du coût de l’énergie et de sa volonté de soutenir les industries à se décarboner.
… et ses handicaps ou, du moins, défis ?
R. D. : En dépit du fait que l’industrie alimentaire soit le premier employeur en France, les produits de grande consommation ne sont pas toujours pleinement valorisés. Or les consommateurs sont très attachés à nos belles marques comme M&M’S, Snickers, Pedigree, Sheba, Royal Canin, Ben’s Original, Ebly. Nous devons protéger notre industrie agroalimentaire en France pour la rendre plus compétitive, avec des relations industrie-commerce plus apaisées, une amélioration du coût du travail, et une meilleure perception du climat social et politique. J’ajouterai que les niveaux de rentabilité de l’industrie agroalimentaire et des produits de grande consommation en France sont trop faibles par rapport à nos voisins européens, à cause d’une politique de déflation menée pendant dix ans. Restaurer notre compétitivité est devenu une priorité ; il en va de la souveraineté alimentaire, de la sauvegarde de nos industries agroalimentaires et de notre agriculture française.
De quoi auriez-vous besoin pour consolider votre outil français ?
R. D. : Il faut poursuivre les réformes engagées par l’État pour réduire la lourdeur administrative et faciliter les investissements, accélérer la simplification et la lisibilité fiscale. En tant que groupe agroalimentaire exportateur, nous souffrons de l’hyper-régulation, de la surtransposition de la réglementation française et européenne qui ajoute de la complexité dans des usines qui produisent pour plusieurs pays. Nous en appelons à plus de stabilité, surtout pour les normes environnementales. Par ailleurs, au-delà du contexte politique récent, les relations industrie-commerce sont une exception française qu’il est urgent d’apaiser, en évitant d’opposer les acteurs et en consacrant nos efforts collectifs à créer de la valeur tout au long des filières, de la fourche à la fourchette – et à la gamelle. Nous devons protéger ensemble le joyau de notre industrie, éviter la fuite des acteurs, des emplois et des cerveaux à l’étranger. Si nous gardons nos usines en France, si nous réussissons la transition écologique, alors nous protégerons notre agriculture et la souveraineté alimentaire en France.
Sécuriser les matières premières agricoles décarbonées
Au sein de votre groupe, comment se déroulent les arbitrages entre les pays ?
R. D. : Mars a toutes les raisons de choisir la France et de poursuivre son développement au cœur de ses territoires en faveur de la création de valeur, en continuant à innover, à produire en France et en renforçant notre présence nationale. Nos sièges sont implantés dans les territoires : Mars Petcare et Food est situé à Saint-Denis-de-L’Hôtel, le siège global de Royal Canin est implanté à Aimargues, en Occitanie, et le siège de Mars Wrigley se trouve à Haguenau, dans le Bas Rhin. Pour l’avenir, se pose à nouveau la question de la rentabilité de notre industrie et de la capacité à réaliser une transition climatique très coûteuse avec nos clients, pour rendre les territoires français attractifs. Notre développement passera par la poursuite des investissements pour soutenir cette transition de l’amont à l’aval, sur toute la chaîne de valeur.
Mais la question est plutôt de savoir quels seront les pays à la tête de cette transition. Lorsque nous abordons la question des investissements, il est avant tout question de territoires, de capacités de production et de disponibilité des matières premières. Pour produire en France, il deviendra crucial de sécuriser la disponibilité des matières premières agricoles décarbonées. Les États-Unis investissent massivement dans ce domaine, faisons de même en Europe. Nous devons soutenir une politique agricole de qualité et revoir le prix que l’on accorde à l’alimentation, avec des circuits courts et de l’approvisionnement local. Enfin, il est important que l’industrie agroalimentaire soit mieux valorisée en France, aussi dans les discours politiques qui ont un écho que l’on a tendance à sous-estimer. Bref, nous sommes très fiers de notre empreinte territoriale en France, et nous souhaitons être un acteur responsable dans ce grand chantier de revalorisation de tous les maillons de la chaîne.
Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)