Vrac, profil sans clichés
16/03/2021
Qui achète du vrac ? Sur 40 % de Français acheteurs, 46 % (19 % des Français) en achètent une fois par mois ou plus souvent. « Ce n’est pas un achat par hasard, c’est une habitude », estime Isabelle Kaiffer, directrice des études consommateurs chez Nielsen, qui a conduit en décembre dernier une enquête [1] sur ce segment de la grande consommation auprès d’un large échantillon de consommateurs. Le vrac ne correspond pas, ou plus, au cliché du « bobo » parisien : 40 % de ses acheteurs habitent en zones rurales ou dans des villes de moins de 20 000 habitants ; 53 % ont plus de 50 ans et 31 % sont retraités. Si 14 % sont des cadres supérieurs,14 % aussi sont des ouvriers. Et 38 % vivent seuls [2] : pour eux, « acheter un paquet de 500 grammes de pates n’a pas de sens », observe Isabelle Kaiffer.
La diversité de ses consommateurs explique sans doute la résilience d’un marché dynamique [3] brusquement entravé début 2020 par la crise sanitaire, mais qui est aujourd’hui revenu à son niveau d’avant la crise : 40 % des consommateurs en janvier 2020, 22 % lors premier confinement [4], puis 28 % en juillet et 37 % en décembre. Le Covid a entraîné une baisse de la fréquentation des magasins et une augmentation des commandes en drive, où le vrac n’est pas présent, mais il n’a pas cassé les habitudes d’achat.
Maîtrise du budget
Pour quelles raisons achète-t-on des produits en vrac ? Pour 37 % des personnes interrogées la « raison principale » est la quantité recherchée, alors que seules 22 % mettent en avant la réduction des déchets d’emballage et 10 % le fait que « ça revient moins cher » – modalité du questionnaire qui recoupe en partie la première [5]. Souci de contrôler son budget ou de ne pas gaspiller, la possibilité de la juste dose ressort en tout cas nettement en tête ; pour Isabelle Kaiffer, cette possibilité « distingue le vrac de la consigne et autres modèles de consommation préemballée » et elle est « le levier du développement du vrac ».
Pour Celia Rennesson, directrice de Réseau Vrac, associé à Nielsen dans l’étude, la motivation est économique et « va trouver un terrain favorable avec la crise économique attendue en 2021 » : « Le vrac est un mode de distribution, qui vend tout type de produit, du moins cher au plus cher. La diversité des prix permet de répondre aux différents budgets. Grâce au choix de la quantité, le vrac permet de réaliser des économies. On peut n’acheter que trois ou quatre biscuits. Dans un magasin vrac, il n’est pas rare que des tickets de caisse ne dépassent pas 40 centimes d’euros. »
Motivations contrastées entre réguliers et occasionnels
Parmi les foyers distingués par Nielsen, en fonction de leur situation financière et de leur perspective [6], un groupe de « fragilisés » (27 % ) font plus attention à leurs dépenses, car leurs revenus ont baissé ou vont baisser. Ils n’étaient que 22 % en juillet 2020. Isabelle Kaiffer voit se dessiner deux profils de consommateurs de vrac :
- des occasionnels, dont 39 % sont motivés par la juste quantité, 18 % par la réduction des déchets d’emballages et 8 % par la recherche de produits plus sains ;
- des réguliers, dont 31 % sont motivés par la réduction des déchets d’emballages, 29 % par la juste quantité et 14 % par la recherche de produits plus sains.
Où achètent-ils ? À l’origine, le vrac a été commercialisé dans les magasins bio, pour démocratiser des produits bio en volumes modestes, qui était moins chers en vrac. Aujourd’hui, les circuits dominants sont l’hypermarché [7] et le supermarché ; l’étude Nielsen indique que 61 % (56 % des réguliers) achètent en hyper et supermarché, 52 % dans les magasins bio (63 % des réguliers), 10 % chez les spécialistes du vrac (15 % des réguliers). « On retrouve le profil des gens qui fréquentent les grandes surfaces », observe Isabelle Kaiffer.
L’épicerie sèche est toujours la catégorie phare : en proportion des acheteurs, les fruits-oléagineux en attirent 63 % , devant les fruits secs (56 % ), les légumineuses (37 %), les graines (35 % ), le riz (31 % ), les céréales et pâtes (30 % ), les thé et infusions (15 % ). Mais le non-alimentaire a commencé à se faire une place : liquide vaisselle, produits nettoyage pour la maison et lessive sont achetés par 9 % des acheteurs de vrac, le savon main par 8 % , les shampoings et gels douche par 5 % .
Le prix rêvé de l’emballage
L’éventail de l’offre souhaitée s’ouvre à des nouvelles catégories. L’étude Nielsen estime à 62 % la proportion des Français qui souhaitent plus de produits en vrac (84 % parmi les acheteurs actuels) : dans l’épicerie (74 % d’attentes), l’entretien de la maison (58 % ), l’hygiène-beauté (43 % ) et les aliments pour animaux (30 % ) [8].
Les initiatives des grandes marques dans le vrac correspondent donc bien à la demande des Français, estime Isabelle Kaiffer : 54 % souhaitent des marques en vrac (73 % parmi les acheteurs actuels). Et pour les mêmes produits que les marques vendent habituellement.
Avec tout de même une différence relative au prix : 70 % des consommateurs attendent en vrac des marques moins chères qu’emballées, car, constate Isabelle Kaiffer, « ils ne veulent pas payer pour l’emballage qui n’existe plus ». S’il y a quelque chose en moins, cela doit être moins cher : sans surprise, ni la complexité de la chaîne logistique du vrac, ni le coût de la sécurité des produits n’entrent en ligne de compte.
Car ces sujets ne sont pas plus intuitifs pour le grand public que le « vide technique » des emballages. Le questionnaire fermé de l’enquête Nielsen enregistre cette représentation naïve, et la modalité « les mêmes produits moins cher » risquait sans doute peu d’être la moins partagée de la liste proposée : « des produits en vrac plus sains naturels que leurs produits habituels » (59 % ) ; « les mêmes produits qu’habituellement mais en vrac » (59 % ) ; « des produits en vrac avec AOP ou IGP » (54 % ) [9] ; « des produits en vrac avec label » (52 % ) ; « des produits en vrac bio » (51%). Pour autant, les modalités qui ne font pas référence au prix ne recueillent pas des pourcentages d’approbation très inférieurs, elles indiquent même une attente de « prémiumisation » : la problématique prix stricto sensu semble donc à relativiser.