Yoplait, vers une chaîne du froid moins gourmande
27/01/2025
Pourquoi Yoplait a-t-il rattaché le dossier du réemploi des EIC à votre direction logistique ?
Nathalie Molina : Les EIC sont un sujet éminemment logistique, du transport des produits de nos usines vers nos plateformes internes au transport vers les entrepôts de nos clients. De plus, cette fonction est depuis longtemps orientée vers la durabilité chez Yoplait. Nous nous sommes penchés sur la question il y a deux ans, constatant le volume de déchets que les EIC représentaient. Plus généralement, l’enjeu des emballages consiste pour nous en la recherche permanente du meilleur équilibre entre la fonctionnalité, la minimisation et la circularité. La fonctionnalité pour protéger nos produits ultrafrais, d’autant plus sensibles. La minimisation pour n’utiliser que la bonne quantité de matière et donc limiter l’impact environnemental. La circularité pour essayer d’offrir une solution en fin de vie des emballages et limiter notre dépendance à des ressources qui ne sont pas renouvelables.
Que représentent les EIC chez Yoplait et comment y associer cette notion de circularité ?
N. M. : Chaque jour, Yoplait livre 220 000 colis à ses clients en France, nécessitant des palettes en bois qui servent de support de manutention ainsi que des caisses en carton où nous plaçons nos unités consommateurs, sans oublier le film étirable et rétractable qui entoure les palettes pour garantir la tenue des cartons durant le transport. Nous sommes déjà passés à un système de palettes locatives avec LPR-La Palette rouge, au début de la crise ukrainienne qui a fait flamber les prix des palettes en bois en Europe. Ce souci économique et d’approvisionnement a finalement soutenu notre recherche de durabilité. Par ailleurs, nous avons réduit au minimum l’épaisseur des emballages, en sorte que nous sommes aujourd’hui pour certains à la limite en termes de fragilité. Cela nécessite un pilotage très fin de la résistance verticale à la compression : même le pot de yaourt est portant, la caisse en carton ne suffisant pas seule à porter la palette. C’est pourquoi notre préoccupation se concentre sur les caisses carton ; nous avons signé pour cela un partenariat d’étude avec Tosca. En passant à un modèle de caisses en plastique réemployables, nous obtiendrons des palettes plus stables car plus rigides, en sorte que probablement le film plastique au mieux disparaîtra, au moins sera remplacé par une simple bandelette pour encercler la palette : son maintien ne nécessitera plus qu’elle soit entourée de plusieurs tours de film plastique comme aujourd’hui.
Des adaptations industrielles colossales
Quels freins devrez-vous lever pour passer à cette solution ?
N. M. : Comme je l’ai dit, nous avions atteint un dispositif hyper-optimisé. Le passage à la caisse réemployable va nous obliger à standardiser les formats, actuellement très nombreux, du petit pot individuel au gros pot familial en passant par la brique. Nous allons devoir en réduire le nombre et trouver des compromis, qui conviennent à 80 % des produits au moins. Et ce qu’on va améliorer du côté de la caisse peut dégrader d’autres paramètres, par exemple avec des espaces vides dans les caisses signifiant moins de produits par camion. Cette transformation va imposer des adaptations industrielles colossales et nécessitera une mise en place progressive, probablement avec une coexistence, au moins temporaire, des deux solutions.
Outre le réemploi, la caisse plastique présente-t-elle des avantages ?
N. M. : Grâce à leur résistance, les caisses en plastique protégeront mieux nos produits, diminuant les pertes dues à la casse. Car dans nos milieux réfrigérés les cartons se déforment facilement après quelques jours, avec la condensation et l’humidité. Cela devrait nous donner la possibilité de réduire encore, quand c’est possible, l’épaisseur de nos pots, qui n’auront plus besoin d’être portants. Donc de limiter les quantités de matières engagées pour nos emballages primaires.
Cette mutation supposera-t-elle des investissements importants ?
N. M. : En effet. Nos lignes sont conçues pour la caisse carton. Des formeuses la fabriquent à partir d’un plateau à plat puis une encaisseuse y place les produits, de façon très automatisée avec des convoyeurs, le tout adapté aux formats. Ensuite, on empile les caisses sur les palettes avec des palettiseurs, etc. La caisse rigide, qu’elle soit pliable ou emboîtable, ne pourra pas être mécanisée de la même manière.
Nous n’en sommes pas encore à l’évaluation de ces adaptations mais plutôt à l’analyse du cycle de vie, afin de nous assurer qu’une potentielle substitution permettra bien de réduire l’empreinte carbone de nos activités. Nous savons que tout cela va demander des investissements importants sur plusieurs années et nous étudierons avec l’Ademe et les organismes d’écocontribution comment nous pouvons être accompagnés dans cette transition. La modification de nos lignes se chiffrerait en millions d’euros. En parallèle, la réduction supplémentaire de nos emballages et la limitation de la casse sur toute la chaîne devraient générer des économies.
Un froid moins énergivore
D’autres économies peuvent-elles être attendues ?
N. M. : Pour préserver leur texture, la plupart de nos produits sont conditionnés à chaud puis doivent être refroidis rapidement : ils passent, une fois sur palette, par des tunnels ou des cellules de refroidissement afin d’atteindre la température de deux à quatre degrés imposée par la réglementation en France. C’est pourquoi nos caisses présentent des trous et sont alvéolées : pour permettre aux flux d’air de passer entre les pots. L’ensemble du processus est donc très énergivore. La caisse plastique libérera une aération beaucoup plus importante, permettant aussi des économies sur le froid en réduisant le temps de passage en refroidissement pour le même résultat.
Cet effort de transition ne doit-il pas être accompli aussi par les autres industriels de votre secteur, ne serait-ce qu’à la demande des distributeurs ?
N. M. : Oui. Le réemploi des EIC ne peut se cantonner à une démarche individuelle. Il doit absolument être considéré à l’échelle de la filière de l’ultrafrais. La massification est un point essentiel dans la mécanique du réemploi sur le territoire national, pour des raisons économiques. Depuis deux ans je préside la commission logistique de Syndifrais et nous avons constitué un groupe de travail avec un nombre représentatif d’adhérents. Il est important d’éviter à la distribution que chaque fournisseur propose sa propre solution[1]. Le collectif a un rôle crucial, à l’instar de ce qui a été réalisé dans d’autres filières comme les fruit et légumes, la marée, la viande ou la boulangerie industrielle. Nous travaillons donc à proposer un standard logistique pour la catégorie de l’ultrafrais, tout en consultant plusieurs porteurs de solutions de caisses réemployables, de façon à élargir l’analyse des possibilités et à éviter, à terme, une situation monopolistique. Bien sûr, chaque entreprise restera libre de ses choix.
Le réemploi des EIC semble primer celui des emballages ménagers. Pourquoi ?
N. M. : Comme les EIC ne concernent pas, dans leur grande majorité, les consommateurs, le changement de pratique induit par le réemploi est potentiellement plus simple à mettre en place. C’est un levier rapide pour réduire les besoins en matériaux d’emballage et moins puiser dans les ressources nécessaires à de nouveaux emballages. C’est aussi le marqueur d’un changement de modèle qui vise à maximiser la fonctionnalité de l’emballage tout en minimisant la dépendance aux matériaux. Quant au réemploi des emballages ménagers, il supposera un changement des modes de consommation, avec la consigne par exemple. Notre stratégie consiste à participer aux travaux collectifs pour définir ce nouveau modèle.