Comportements écocitoyens, les Français sont-ils prêts ?
27/05/2021
Citeo conduit-il des études récurrentes sur les comportements des consommateurs au regard des enjeux environnementaux liés aux produits de grande consommation et à leurs emballages ?
Séverine Lèbre Badré : Citeo conduit des études sur les nouveaux comportements écocitoyens, en lien avec notre raison d’être : engager et accompagner les acteurs économiques à produire, distribuer et consommer en préservant la planète. Aujourd’hui les tendances me semblent se focaliser sur trois dimensions importantes. La première est la consommation responsable, désirée de manière majoritaire par les Français : consommer responsable, c’est consommer mieux mais non rejeter la consommation ; le premier critère d’une consommation responsable, c’est la prise en compte de l’environnement. Deuxième tendance : la perception environnementale de l’emballage. Les consommateurs, qui ont un rapport à l’emballage fondé sur l’utilité et la simplicité, intègrent maintenant la dimension environnementale ; le critère le plus largement attendu de ce point de vue est la recyclabilité. La troisième tendance, observée par notre Observatoire du geste de tri, est la persistance du recyclage et du tri des emballages et du papier comme une solution attendue et pratiquée.
Les consommateurs sont devenus plus conscients des impacts de leurs choix ?
S. L. B. : Six Français sur dix, interrogés dans le cadre de notre observatoire, déclarent s’intéresser à l’impact environnemental de leur consommation et chercher à le limiter.
Le local, critère de choix en hausse
Selon l’Observatoire de la consommation responsable de l’Obsoco et Citeo, présenté lors de votre matinée « Nouveau comportements écocitoyens », le localisme arrive en tête des préoccupations en termes de consommation responsable, avec 44 % , devant le tri, 28%. Cela prouve-t-il que les consommateurs ont des comportements plus responsables ?
S. L. B. : Pour les consommateurs, le premier critère de la consommation responsable est de consommer local. Ce critère est en nette hausse, peut-être un effet de la crise. Le tri est un autre critère, et c’est pour nous un enseignement important, car on avait tendance à ne pas intégrer les gestes aval dans les critères de consommation responsable. Ajoutons une autre attente, les produits biologiques. Pour l’environnement, le consommateur cherche à faire bouger le curseur de sa consommation à plusieurs niveaux.
Made in France, circuit court, produit local : un effet de mode ou une tendance longue ?
S. L. B. : L’Observatoire de la consommation responsable y voit une tendance longue. Les consommateurs ne veulent pas déconsommer. Il revient aux marques de travailler leur structure d’offre, de leur proposer des choix leur permettant d’exercer leur responsabilité.
Moins impliqués quant aux retombées sociales
La connaissance grandit-elle parmi les consommateurs des conséquences de leurs choix sur les modes de production, leur transition écologique, les retombées sociales ?
S. L. B. : Je ne parlerai pas de connaissance, mais d’attention aux conséquences environnementales de leur choix de consommation. Les consommateurs estiment qu’il revient aux entreprises de leur donner les clés pour qu’ils puissent être capables de les évaluer. Ils ne se considèrent pas comme des experts de l’environnement. Concernant les retombées sociales de leur consommation, ils semblent moins impliqués.
N’est-ce pas surtout par la loi (Grenelle, LTE, Agec, Climat et résilience…) que les comportements des consommateurs ont changé ou vont changer ?
S. L. B. : C’est toujours un dialogue permanent entre ce qui est souhaitable et possible, ce que la loi autorise et les attentes des consommateurs. Depuis l’été 2019, la préoccupation environnementale et sanitaire est devenue la première chez les consommateurs, et la crise sanitaire n’a pas fait fléchir cette préoccupation. La loi Climat et résilience correspond à une méthodologie d’élaboration différente et repose beaucoup plus sur l’implication effective des citoyens.
La crise du Covid a-t-elle révélé des nouveaux comportements écocitoyens ou renforcé des mutations comportementales déjà en cours ?
S. L. B. : On constate surtout un renforcement des tendances existantes. Le recyclage et le tri sont toujours considérés comme utiles pour protéger l’environnement. Citons comme nouveaux comportementsen croissance la demande de produits locaux et de sécurité sanitaire.
Regain de confiance en les marques avec la crise sanitaire
L’usage des applications (Yuka…) relève-t-il d’un comportement écocitoyen ? Ou témoigne-t-il surtout d’une défiance grandissante des consommateurs à l’endroit des acteurs de l’économie ?
S. L. B. : En termes de comportement de consommation, la montée des applications témoigne d’une volonté de comprendre les conséquences de notre consommation intégrant nos critères personnels et soutenant nos choix. Le consommateur veut en outre une information simple. De leur côté, les marques accompagnent de plus en plus les consommateurs vers une consommation responsable, et jouent la carte de la transparence. La crise a renforcé la confiance des consommateurs vis-à-vis des entreprises et des marques, ils se sont tournés vers les marques qu’ils connaissaient déjà bien et dans lesquelles ils avaient confiance. Soulignons que Yuka intègre désormais la dimension environnementale dont l’emballage,dans les informations des produits, ce qui témoigne d’un changement des mentalités.
Disparités géographiques du geste de tri
Dans quelle proportion diriez-vous que les consommateurs sont plus systématiquement aujourd’hui de bons trieurs qu’il y a dix ou vingt ans ?
S. L. B. : Ils ne sont pas systématiquement de meilleurs trieurs, même si neuf Français sur dix ont adopté le geste de tri, d’après l’Observatoire du geste de tri Citeo. Un geste qui rappelons-le est né dans les années 90 (70 pour le verre). C’est le premier geste écocitoyen généralisé. Mais ce qui compte avant tout en matière de recyclage, c’est sa performance, et donc sa massification grâce à un tri systématique par les consommateurs de tous leurs emballages à tout moment et à tout endroit. En 2019, on en était à un Français sur deux (51 %) triant systématiquement. Nous avons des situations très contrastées selon les régions : les très bons trieurs se situent dans les villes moyennes et les zones rurales et périrurales, les moins bons dans les zones urbaines denses, où l’accès au tri est moins facile et où les consommations sont plus souvent nomades.
À la responsabilité élargie du producteur doit-il correspondre une responsabilité du consommateur au-delà de la seule fin de vie de l’emballage et de son geste de tri ?
S. L. B. : Le producteur assume cette responsabilité en partenariat avec le consommateur, car c’est le consommateur qui détient l’emballage, et c’est lui qui exerce sa responsabilité en le triant. Cet engagement du consommateur est-il en train de s’élargir au-delà du geste de tri ? On observe que l’attente de recyclabilité peut se traduire dans les choix de consommation,notamment dans une attente d’emballages recyclables ou qui ont fait l’objet d’un effort d’écoconception. Beaucoup de marques intègrent ces attentes dans leur offre.
Accès inégal à la capacité de consommer responsable
L’adoption de comportements de consommation plus « écocitoyens » est-elle toujours très différenciée socialement (niveaux de revenus, niveaux d’études, etc.) ?
S. L. B. : Nous avons la conviction que les comportements écocitoyens sont partagés par tous les Français et traversent les catégories socioprofessionnelles. Mais l’accès réel à la possibilité de la consommation responsable resté différencié sur le plan socio-économique. Pour le geste de tri, le facteur déterminant est l’habitat : avoir de la place, de l’espace, est plus favorable au tri, alors que l’habitat plus dense ny donne pas facilement accès, car il y a moins de bacs disponibles. . Nous venons de signer un partenariat avec le réseau des épiceries solidaires pour accompagner les consommateurs dans la formation au geste de tri. Et nous avons créé une application « Le Guide du tri » qui permet d’avoir la bonne consigne de tri en fonction du lieu de tri et de l’emballage à trier. Nous avons plus de cent mille téléchargements.
Depuis dix ans, les produits écoconçus sont-ils de mieux en mieux identifiés par les consommateurs ?
S. L. B. : Ils sont de plus en plus attendus. La recyclabilité de l’emballage est très importante dans la perception de la dimension environnementale de l’emballage. Le consommateur veut être mieux informé sur les actions d’écoconception des marques.
Nouvel enjeu, les plats en livraison à domicile
« Réduction, réutilisation, recyclage » : lequel de ces « 3R » l’emporte dans l’esprit du public ?
S. L. B. : Les réponses seront différenciées selon le type de produit. Pour l’emballage, l’information prioritaire pour le consommateur est le tri et la recyclabilité. Pour le papier, c’est la source du papier…
Les consommateurs écocitoyens veulent lutter contre le gaspillage, mais lors des confinements ils ont multiplié les commandes chez Deliveroo, Ubereats et autres grands consommateurs d’emballages plastiques…
S. L. B. : Durant la crise, la consommation à domicile a augmenté, télétravail et confinement obligent. La mutation sera durable et un nouvel enjeu apparaît. Des nouveaux emballages arrivent qu’il faudra bien sûr trier. Ils devront être le mieux écoconçus possible.
S’agissant du geste de tri, y a-t-il des différences sensibles entre les consommateurs trieurs selon le mode de tarification de la collecte déployé ?
S. L. B. : En France, le système privilégie le bac jaune, financé à 80 % par les entreprises. Il existe une minorité, forte de six millions de Français, particulièrement en Normandie et eon Auvergne-Rhône-Alpes,qui se singularise par une tarification « incitative », avec une facture émise par les collectivités qui tient compte des quantités d’ordures ménagères produites. Le consommateur mesure ainsi le coût de sa production de déchets et est incité à la réduire. Ce dispositif plus responsabilisant l’engage dans une action positive. C’est un moyen efficace pour augmenter le geste de tri, qui a été développé par exemple en Suisse et en Belgique.
Un métier historique et de nouveaux enjeux
Quels sont les leviers pour inciter les consommateurs à devenir davantage écocitoyens (fiscalité, rabais, reconnaissance…) ?
S. L. B. : C’est tout l’enjeu des nouveaux comportements écocitoyens : comment les installer durablement pour qu’ils aient un effet positif sur l’environnement et pour que les consommateurs aient une image positive des défis à relever. Ils doivent se sentir compétents pour mesurer les impacts de leur action et avoir accès aux moyens d’agir. Il faut donc utiliser tous les leviers.
Citeo, acteur du recyclage, est devenu entreprise à mission en novembre dernier. Il a élargi le spectre de ses interventions avec pour raison d’être « d’engager et d’accompagner les acteurs économiques à produire, distribuer et consommer en préservant la planète ». Comment concrètement agissez-vous auprès des industriels et des consommateurs ?
S. L. B. : Notre singularité est effectivement d’être un acteur de la réduction de l’impact environnemental, de l’emballage et du papier. Cela nous conduit à continuer à faire notre métier historique et à travailler sur les enjeux de connaissance, en donnant aux acteurs les clés pour comprendre les enjeux, leurs conséquences, et prendre des décisions éclairées. Nous traitons les sujets qui s’inscrivent dans l’économique circulaire, l’écoconception, la collecte et le recyclage, le réemploi, les nouveaux impacts environnementaux comme les enjeux de biodiversité.
Citeo accompagne les entreprises, mais s’adresse aussi au grand public ; est-il largement connu, et reconnu par les consommateurs ? Son audience dépend-elle beaucoup des moyens d’information déployés par les collectivités locales ?
S. L. B. : Citeo va fêter ses trente ans l’année prochaine. Elle est d’abord un acteur de l’accompagnement des entreprises. Pour autant, un service comme le Guide du tri est destiné au grand public, nous sommes un acteur crédible auprès de lui. Nous n’avons pas l’ambition d’être une grande marque, mais une marque utile.
Un comportement systématique et quotidien
Les techniques du “nudge” sont-elles en usage dans l’action de Citeo ?
S. L. B. : Quand on s’intéresse aux comportements, le nudge est souvent utilisé pour favoriser un comportement positif, de la manière simple et non coercitive pour le consommateur. Nous l’avons expérimenté à Marseille sur des points d’apport volontaires. Pour autant, le tri doit être un comportement systématique et quotidien, ce qui n’est pas compatible avec le nudge, fondé soit sur la surprise soit sur l’automatisation.
Comment les marques peuvent-elles agir pour orienter les choix vers une consommation plus responsable ?
S. L. B. : Les marques ont toutes un rôle à jouer, aussi bien dans l’écoconception de leurs produits qu’en étant un acteur dans l’éducation à la consommation responsable. Elles doivent se positionner comme partenaires de leurs consommateurs.
Les comportements écocitoyens vont-ils redessiner le paysage commercial avec des nouveaux acteurs ?
S. L. B. : De fait, de nouveaux types d’acteurs arrivent, comme Yuka, C’est qui le patron ?, des marques de distribution… Et des acteurs déjà en place qui font évoluer leur offre.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard