Réemploi
La consigne en orchestre
23/01/2025
En quoi, Hugues Pelletier, consiste votre expérimentation développée avec l’enseigne U et des marques de boissons ?
Hugues Pelletier : L’expérimentation est opérationnelle depuis début janvier 2024. Elle réunit dix-sept magasins U, hypermarché, supermarché et U Express en Île-de-France et au centre de Paris. Elle couvre les zones urbaines et péri-urbaines et touche des consommateurs CSP intermédiaires et CSP+. Y participent aussi quatre gros hypermarchés Leclerc également en Île-de-France. Elle réunit ces enseignes et des industriels de la boisson, Meteor, Lorina, Pago, Coca-Cola, Nestlé Waters avec Perrier et Vittel, avec lesquels Petrel met en œuvre une boucle totale de réemploi. Elle porte sur le parcours client, la mise en rayon pour mettre en valeur la consigne, son explication par une PLV, l’emplacement des machines de déconsignation, avec deux partenaires, Lemon Tri et The Keepers. Petrel gère également toutes les opérations circulaires en utilisant un grossiste CHR pour la collecte des bouteilles dans les magasins qu’il ramène à son entrepôt pour faire le tri. Dans un deuxième temps, Petrel les renvoie soit aux industriels (Meteor, Perrier, Vittel…), qui se chargent du lavage de leurs bouteilles, soit à des laveurs spécialisés comme Uzaje, qui lavent pour le compte du metteur en marché.
Peut-on considérer Petrel comme le chef d’orchestre de ce concert à quatre ? Quel rôle y joue Citeo ?
H. P. : Oui, par nos différents rôles, nous coordonnons les acteurs du consortium, nous nous assurons de son financement avec l’éco-organisme Citeo, nous établissons l’ingénierie du projet et nous opérons au quotidien. Notre plate-forme digitale Petrel Hub suit les flux physiques et financiers et remonte la donnée collectée pour l’analyse aussi bien marketing, opérationnelle que RSE. Pour sa part, Citeo est financeur et accompagnateur. Notre mode de fonctionnement prévoit une réunion mensuelle avec tous les partenaires, dont Citeo, qui bénéficie de notre retour d’expérience et qui nous donne des orientations au regard des directions nationales.
Appétence des consommateurs
Qu’avez-vous appris depuis un an ?
H. P. : Beaucoup sur la mise en œuvre en magasin et les comportements des consommateurs. Ils ont déjà un certain niveau de connaissance du concept, même s’il reste important d’avoir une pédagogie de la consigne pour recyclage différente de celle du réemploi. Nous devons également travailler davantage sur l’offre. Nous observons une grande appétence, un réel intérêt des consommateurs, même si le changement de leurs habitudes leur demande un effort. Ils sont donc très vigilants sur la qualité d’exécution dans la mise en œuvre et sont demandeurs d’information. Nous organisons des animations tous les mois dans les magasins, confiées parfois à des étudiants d’écoles de commerce. C’est une action très importante pour assurer la bascule dans ce mode de consommation.
En quoi la consigne peut-elle constituer une chaîne de création de valeur ?
H. P. : Nous sortons d’une économie linéaire pour entrer dans une économie circulaire. La boucle du réemploi permet de diminuer les emballages à usage unique. En termes de valeur, les boucles circulaires sont organisées sur le plan régional et apportent des activités à des acteurs locaux par la création de filières, de nouveaux emplois pour le tri d’emballage, le lavage. Elles ont une vocation sociale pertinente.
Quel a été le déclencheur de la démarche ?
H. P. : La consigne ne date pas d’aujourd’hui, comme l’atteste son usage jusqu’au début des années 1980. Elle existe encore en Allemagne, en Belgique, dans le CHR, mais elle a disparu dans les grands magasins, où les systèmes de déconsignation ont été démontés car on est passé au tout plastique à usage unique. Ainsi, le seul objectif était le recyclage et des 3 R (réduction, réemploi, recyclage). On a oublié le réemploi. Depuis cinq ans, une filière se reconstitue sous l’égide du réseau Vrac et Réemploi, pour remettre au goût du jour le réemploi et le faire passer à l’échelle avec le soutien de Citeo.
Outils GS 1
La technologie rend-elle la consigne plus facile ?
H. P. : La technologie est un moyen au service d’emballages plus durables. Ainsi nous utilisons les nouveaux standards de circularité de GS1 doté des codes GRAI (Global Returnable Asset Identifier), équivalents de codes-barres. Nous suivons tout au long de la boucle circulaire tous les événements de la chaîne opérationnelle sur les emballages grâce aux EPCIS (Electronic Product Code Information Services), systèmes de suivi mis en œuvre par GS1 que nous commençons à utiliser. La consigne peut gagner en efficacité avec les étiquettes dotées de colles solubles durant le lavage, et sur lesquelles figurent des logos reconnaissables par tous les consommateurs pour qu’ils puissent les identifier à la consigne. Il faut tendre également vers des bouteilles standards facilement réemployables, comme le préconise Citeo depuis deux ans.
Comment mesurez-vous le bénéfice environnemental ?
H. P. : Citeo et l’Ademe ont mené des analyses de cycle de vie qui confirment que le réemploi des emballages a un effet environnemental positif, particulièrement si le système circulaire fonctionne à l’échelon régional, afin de limiter les kilomètres liés aux transports.
Quels sont les facteurs du succès et les freins ? Des coûts peuvent-ils être momentanément cachés ?
H. P. : Un facteur clé est l’adoption par un nombre important de consommateurs grâce à une offre large de produits du quotidien, avec des prix de base des produits attractifs indépendamment de celui de la consigne. Un autre facteur est le travail de pédagogie sur le parcours client. Enfin, l’enjeu est d’avoir des volumes plus importants, pour diminuer les coûts et baisser les prix de vente aux consommateurs, afin d’entrer dans une boucle vertueuse. Sur le plan des coûts, la boucle de retour complet (collecte, stockage, lavage, retour…) engendre des coûts supplémentaires par rapport à ceux du recyclage ou de la poubelle, mais elle évite des externalités négatives pour l’environnement. C’est d’ailleurs l’enjeu de la « responsabilité élargie du producteur » : pouvoir faire des arbitrages sur les sommes attribuées à l’éco-contribution en dépit des coûts, réels ou cachés.
Selon quels critères déciderez-vous du passage à l’échelle ? Souhaitez-vous étendre la consigne pour réemploi à d’autres marques et enseignes ?
H. P. : Le projet « activation ReUse » mené par Citeo dans quatre régions, Bretagne, Pays de la Loire, Normandie et Hauts-de-France, va concerner 750 magasins avec huit distributeurs, soit potentiellement 1 100 magasins et 37 marques (boissons, épicerie, marques nationales et marques de distributeurs) avec des grands groupes et des PME. Petrel s’engage à l’accompagner pour passer à l’échelle. Tout l’enjeu est de combiner l’intérêt général, les attentes des consommateurs et un modèle économique et environnemental équilibré.
Pour Coopérative U, une responsabilité et une opportunité
Antoine Bresson, comment, propriétaire de trois magasins U en Île-de-France, en êtes-vous venu à participer à ce test en partenariat avec un autre distributeur ?
Antoine Bresson : Au sein de Coopérative U, j’ai été à l’initiative de cette expérimentation en complémentarité avec des magasins Leclerc qui lui ont apporté des formats de points de vente différents. L’interopérabilité fait partie de la feuille de route gouvernementale. Avec la loi Agec, nous sommes tous embarqués sur le même bateau. Il faut mener le plus d’expériences possible.
Quels résultats et enseignements en tirez-vous ?
A. B. : Première satisfaction : les gens achètent ! Ce n’était pas gagné, quand le produit n’est pas moins cher, avec une consigne de dix ou vingt centimes. Ensuite, les gens ramènent. Dans mon magasin de Montgeron, nous avons atteint un taux de retour de 49 % au mois de novembre. Par ailleurs, nous avons la preuve que la boucle fonctionne bien, ce qui n’était pas simple étant donnée la multiplicité des ’intervenants. Enfin, dans mes magasins, cela fonctionne : je n’ai entendu personne dans mes équipes protester contre la complexité du système.
Économiquement, comment ça marche ?
A. B. : Le metteur en marché, l’industriel, facture le produit avec le prix de la consigne. Le distributeur le règle puis encaisse le prix de la consigne lors de la vente du produit. C’est donc neutre pour lui : ni marge ni perte. Ensuite, soit le consommateur rapporte la bouteille, et il récupère alors le prix de la consigne en bon d’achat tandis que l’industriel récupère sa bouteille. Soit il la garde et perd de ce fait le montant correspondant. Pour tout le monde, l’enjeu est donc que le consommateur rapporte.
Qu’est-ce que l’opération vous a apporté et avec quelles différences selon les points de vente ?
A. B. : Dans un magasin, plus il y a d’animation, mieux c’est. Cela renforce notre singularité par rapport à la concurrence. Il est clair que les performances varient selon la zone de chalandise, je le constate avec mes magasins. Les consommateurs CSP+ à forte culture environnementale se montrent plus réactifs que ceux en proie aux difficultés de pouvoir d’achat.
Allez-vous amplifier la démarche ?
A. B. : Nous allons étendre cette expérience de consigne pour réemploi. Un important fournisseur va nous rejoindre en début d’année et de nouveaux magasins vont se présenter à l’appel à projets. Coopérative U participe à six expérimentations qui coexistent, dont le prochain ReUse ; c’est notre rôle de distributeur d’être à la pointe de ce combat. Certains hésitent, mais il faut y voir une opportunité, d’autant que Citeo contribue au financement de ces efforts au moins jusqu’à la fin de 2025.
* Entretiens conduits séparément.
Propos recueillis par Jean Watin-Augouard et Benoît Jullien (Icaal)Meteor : un prix consommateur plus bas avec le verre consigné
« Nous sommes naturellement entrés dans ce consortium à l’initiative d’Édouard Haag, notre président, huitième génération familiale de notre brasserie. Sans parler des fûts en restauration, le verre consigné est historique pour nous. En Alsace, nous avons même mutualisé le format de bouteille avec notre grand confrère Kronenbourg. Nous avons donc apporté à ce dispositif notre savoir-faire du verre consigné.
Nous sommes très présents dans le Grand Est et nous nous développons depuis trois ans sur le plan national dans plusieurs enseignes. En Île-de-France, ce test nous a offert l’opportunité d’entrer chez Leclerc et d’étendre notre référencement chez U. Que ce soit en bouteille verre de 33 ou de 75 centilitres, quelle que soit la recette, nous veillons à ce que le prix au consommateur soit plus intéressant en verre consigné qu’en verre perdu. Nous amortissons ce coût par la réutilisation de la bouteille une bonne vingtaine de fois durant environ sept années.
En volume, nous sommes satisfaits, avec bien sûr des performances différentes suivant les références, les lieux de vente ou les saisons. Mais le plus important était le taux de retour : il est déjà supérieur à 90 % en Alsace, qui a gardé cette tradition, mais, dans cette expérimentation en Île-de-France il progresse régulièrement, alors que les Franciliens sont confrontés aux limites de surface de leur habitat. La démarche entre donc parfaitement dans les valeurs de notre entreprise, qui, au passage, dispose de sa propre station d’épuration depuis trente ans déjà. » (Jérôme Rolando, directeur commercial grande distribution chez Meteor)