Entretiens

Réemploi : susciter la demande

27/01/2025

Pour atteindre 10 % de réemploi dans les emballages ménagers, Citeo vise un dispositif national mutualisé à destination des industriels et des magasins, notamment avec “ReUse”. Cette première étape franchie, il faudra encore séduire les consommateurs. Entretien avec Valentin Fournel, directeur écoconception et réemploi chez Citeo.

Comment Citeo, éco-organisme initialement voué au recyclage, en est-il venu à s’intéresser au réemploi ?

Valentin Fournel : La mission de Citeo est de réduire l’empreinte environnementale des emballages, à travers une stratégie 3R : réduire, réemployer, recycler. En réalité, le réemploi existe depuis longtemps en France. En Alsace, il n’a jamais été abandonné. Il perdure aussi des boucles locales dans certaines régions. Citeo a réintégré ce sujet de façon importante en 2018n quand nous avons commencé à financer des projets de réemploi dans le cadre d’appels à projets. Puis est venue la loi Agec, fixant aux entreprises l’objectif de 10 % de réemploi des emballages, tous secteurs confondus, et accordant aux éco-organismes la capacité de financer, à hauteur de 5 % de leur chiffre d’affaires, le développement du réemploi. Nous pouvons donc maintenant aller plus loin dans notre ambition avec différents leviers. Entre 2018 et 2022, nous avions lancé une pédagogie autour du réemploi, notamment avec des guides sur le préemballé, le vrac ou la recharge. En 2023, nous sommes passés à la vitesse supérieure.

Comment ?

V. F. : Avec le lancement de notre appel à projet « Encore plus de réemploi » et ses 35 millions d’euros engagés en 2023, permettant de financer 140 projets. Nous l’avons relancé en 2024, cette fois avec une enveloppe d’environ 60 millions d’euros. Nous devrions soutenir une centaine de dossiers de plus que l’année précédente, soit près de 250.

Quelle est l’ambition essentielle de cet appel à projets ?

V. F. : Créer la demande et susciter l’engouement des metteurs en marché et des magasins. Encourager industriels, distributeurs et opérateurs à lancer des expérimentations pour faire émerger le réemploi partout en France. Et nous avons complété le dispositif en lançant la démarche ReUse.

En phase déploiement

On en parle en effet beaucoup : de quoi s’agit-il ?

V. F. : Au-delà des initiatives déjà entamées, nous avons considéré qu’il nous fallait aider les industriels, souvent désemparés face à l’objectif de 10 % et aux modalités de la boucle de récupération à construire. La solution réside dans la mutualisation, particulièrement pour les emballages de produits alimentaires vendus en GMS. C’est le sens de ReUse, que nous avons développée avec des pionniers du réemploi, qu’ils soient distributeurs ou metteurs en marché. Avec eux, nous avons réuni des groupes de travail sur différents thèmes : collecte, logistique, lavage, emballages standardisés, consigne, consommateur… Ensuite, lors de nos « ReUse Days » – cinq éditions à ce jour –, qui ont reçu plus de mille participants en cumulé, nous avons présenté et affiné ce dispositif et posé ses premiers jalons. Nous entrons maintenant dans la phase de déploiement, finançant une partie des infrastructures nécessaires, par exemple les outils de récupération dans les magasins : nous avons déjà finalisé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) auprès des distributeurs et lancé un appel d’offres aux producteurs d’équipements de récupération pour les installer.

Le dispositif mutualisé ReUse pour les produits alimentaires en GMS va entrer dans une nouvelle phase au mois de mai dans quatre grandes régions françaises : Pays-de-la-Loire, Bretagne, Normandie, Hauts-de-France¹. D’ici là, les magasins devront avoir été équipés en machines de récupération et les marques devront avoir accès aux emballages standardisés, dont les premiers emballages « R-Cœur », pour conditionner leurs produits en réemployable, puis les mettre en marché après référencement par les distributeurs. Après un nouvel AMI, Citeo va choisi un fournisseur de services pour activer cette boucle opérationnelle sur le terrain.

Où en êtes-vous concernant la conception d’emballages standard ?

V. F. : C’est l’objet d’un autre AMI, qui vise à anticiper les volumes d’emballages nécessaires au réemploi pendant la phase d’activation dans les quatre régions : les standards R-Cœur, coexistant avec les emballages dits iconiques des grands metteurs en marché. Citeo financera les premières productions d’emballages R-Cœur durant la première année, afin d’aider à développer plus rapidement l’offre en produits emballés en réemployable. Les premières bouteilles de la première référence, le « litre fraîcheur R-Cœur », ont été livrées en décembre sur des sites industriels, comme celui de Refresco, LSDH, du Fourgon ou des Délices de la mer. Prochaines étapes : la mise à disposition des premiers produits dans un emballage standard pour des acteurs de la vente à domicile, qui profitent de leur boucle fermée déjà en place, puis les grandes et moyennes surfaces au mois de mai dans les quatre régions concernées par l’activation ReUse.

Maîtriser le nombre de références par secteurs

Pour l’heure, l’essentiel des projets de réemploi est centré sur le verre. Pourquoi, malgré ses handicaps (poids, fragilité, etc.), et comment intégrer les autres matériaux ?

V. F. : Nous sommes allés au plus rapide pour développer des standards. Avec le verre, les problèmes des boucles multiples, de « l’alimentarité »², etc., étaient déjà résolus. Il suffisait de régler la question du design et du poids, et de solliciter les verriers pour fabriquer les moules. Mais nous travaillons également sur la suite : plastiques, métaux… Dans le plastique, nous avons déjà avancé sur les bouteilles en PET pour les eaux, voire pour les jus. Nous commençons aussi avec les barquettes en étudiant leur comportement en boucles multiples. Des standards opérationnels dans ces matériaux-là seront disponibles dans une prochaine vague. Pour les tester, nous avons notamment conclu un partenariat avec IPC, le Centre technique industriel de la plasturgie et des composites.

Comment ces standards pourront-ils entrer dans les lignes de conditionnement existantes ? Et comment optimiser leur productivité ?

V. F. : C’est un sujet qui évidemment clé, et c’est pourquoi nous avons absolument besoin des industriels pour concevoir les emballages standard et nous aligner collectivement sur un nombre de références limité et cohérent par secteurs. Pour standardiser une bouteille d’eau en verre d’un litre, la question du poids se pose rapidement : pour l’eau plate, il la faut la plus légère possible, mais pour l’eau gazeuse, elle devra être plus solide, donc plus lourde. Pour des raisons environnementales, il fallait donc en concevoir deux. Pour les barquettes, cela va être encore plus complexe, tant il y a de formats sur le marché. Un groupe de travail est actif avec les industriels du secteur pour travailler au développement de ces standards, et nous finançons les tests de faisabilité et l’adaptation des lignes de conditionnement. Pour la phase d’activation, nous visons une trentaine de millions d’emballages réemployables mis en marché par les acteurs, mais l’objectif est bien de réemployer plusieurs milliards d’emballages.

Comment s’intégreront les emballages iconiques dont la forme est identifiée à la marque et ne sont donc pas des standards ? Et des marques pour lesquelles le réemploi sera difficile en termes de marketing des produits, fondé en bonne partie sur le l’emballage ?

V. F. : Les emballages iconiques sont très importants dans le modèle économique du réemploi à grande échelle, car ils peuvent apporter des volumes très élevés contribuant à rendre le dispositif plus efficient. Il y aura donc toujours une place pour des emballages iconiques, certainement avec une notion de seuil de volumes mis en marché. À court terme, ces seuils sont difficiles à déterminer, tant que nous ne connaissons pas précisément les volumes de réemploi. Pour la plupart des produits en marché les standards seront effectivement à privilégier, car ils sont un facteur d’optimisation très important du dispositif, permettant de le rendre plus compétitif avec l’usage unique.

Concernant les aspects marketing, nous avons travaillé avec Fabrice Peltier qui a conçu les références R-Cœur. Il y a d’autres façons de différencier les emballages en rayon, en jouant sur les étiquettes, les couvercles… N’oublions pas qu’aujourd’hui bon nombre d’emballages sont déjà standardisés. Et notons qu’il y aura peut-être d’autres moyens de développer le réemploi pour des emballages à faibles volumes et pour lesquels le design est partie intégrante de l’image de marque, comme le parfum ou les spiritueux. Des systèmes de recharge sont déjà proposés par certaines grandes marques du luxe…

Créer un imaginaire du réemploi

Les consommateurs se sont lentement accoutumés au bac jaune du recyclage ; l’arrivée du réemploi ne risque-t-elle pas de les perturber ?

V. F. : L’adhésion des consommateurs va être une des clés du succès du réemploi des emballages ménagers à grande échelle. Une étude a dressé une typologie des consommateurs, six catégories dont trois auraient un potentiel plus important d’aller vers le réemploi, représentant environ 50 % de la population. Même si tous les consommateurs ne sont pas sensibles de la même manière au réemploi, il existe un potentiel dans l’ensemble de la population, si l’on active les bons leviers d’achat.

L’argument environnemental est important mais pas suffisant. Le défi sera de travailler des leviers d’achat différenciants (prix, praticité, réassurance, provenance, composition…) et de travailler l’offre globale. Dans le déploiement de ReUse, nos actions visent à ce que le réemploi soit le moins contraignant possible pour les consommateurs et surtout ne leur coûte pas plus cher que des offres à usage unique. Nous avons lancé la campagne grand public « Réemployons encore et encore » en novembre dernier pour créer un imaginaire autour du réemploi, aujourd’hui méconnu de la plupart des consommateurs. Nous travaillons aussi à une communication plus ciblée dans les régions de l’activation de ReUse et à un référentiel de communication pour le parcours consommateurs dans les magasins de l’activation, harmonisé entre tous les acteurs.

Y a-t-il d’autres solutions pour la récupération des consignes que la livraison à domicile – où la boucle s’impose aisément – ou la collecte en magasin – qui suppose un effort des consommateurs ?

V. F. : L’accent est bien mis dans la phase d’activation sur la récupération dans les grandes et moyennes surfaces alimentaires, où les consommateurs ont l’habitude de revenir. Mais il y aura des réflexions autour d’autres modalités de récupération, en lien avec les collectivités locales notamment. Le réemploi des emballages ménagers va engendrer un changement sociétal important qu’il faudra accompagner dans le temps, pour l’achat, la récupération, mais également pour le stockage dans l’habitat et le parcours hors magasin.

À terme, voyez-vous une répartition idéale entre les « 3 R » ?

V. F. : Pour répondre aux enjeux environnementaux, notamment le respect des accords de Paris, éviter de puiser dans les ressources ou préserver la biodiversité, il faut travailler sur les trois : réduction absolue des emballages, réemploi et recyclage. Ils sont indispensables et complémentaires. Le rôle de Citeo est d’aider ses clients dans le diagnostic 3R de leurs emballages, dans l’identification des leviers d’action les plus pertinents en fonction de leurs spécificités, et dans la transformation des emballages mis sur le marché. Pour l’un, l’axe de la réduction sera à travailler en priorité, pour un autre ce sera l’intégration dans un dispositif de réemploi mutualisé performant, et tous devront pouvoir intégrer des filières de recyclage efficientes. Les entreprises ne sont pas seules dans cette aventure, et les équipes de Citeo sont mobilisées pour les aider.

1. Le test touchera potentiellement seize millions de consommateurs, mutualisant un parc de trente millions d’emballages. Objectif : mettre en place un système de récupération, de collecte, de transport, de tri et de lavage de ces emballages afin qu’ils repartent dans le circuit de production. Six standards « R-Cœur » vont être développés.
2. Aptitude d’un matériau à être en contact avec des aliments sans nuire à leur qualité (NDLR).

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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