La grande conso au risque de la précarité
31/08/2021
« Depuis la création, il y a vingt-sept ans, de l’association Revivre dans le Monde [1], estime Alain Jezequel, son président [2], la précarité n’a cessé d’augmenter, et l’élargissement de son champ lié à la pandémie touche les travailleurs les plus précaires – intérim, CDD courte durée, temps partiel, rémunération à la tâche…– ainsi que les étudiants. » Mesurer l’ampleur de la précarité, et de la « précarité cachée », est difficile, ajoute-t-il : « De nombreuses personnes et familles, vivant souvent dans des endroits isolés, passent entre les mailles du filet, pour des questions de méconnaissance des structures d’aide qui leur sont destinées, de difficulté linguistique, de défaut de papier ou simplement de honte. Il nous faut développer des offres de services plus pertinentes en regard des vrais besoins. » Le seuil de pauvreté monétaire, revenu mensuel au-dessous duquel une personne est considérée comme « pauvre » est fixé à 60 % du niveau de vie médian. En 2021 il est calculé à 1 063 euros, ce qui représente environ huit millions de personnes en France métropolitaine. Le « reste à vivre » correspond au budget disponible quotidiennement pour se nourrir lorsque toutes les charges récurrentes (loyer, énergie, remboursements d’emprunts …) ont été soustraites. Ce calcul réalisé par les travailleurs sociaux est à la base de l’accès à l’aide alimentaire auprès des épiceries sociales.
Au commencement, les dons
La première mission de Revivre dans le Monde est l’aide aux exclus de la consommation, par la collecte et la distribution de produits d’alimentation et d’hygiène de première nécessité [3]. Lors de la création de l’association par d’anciens cadres de Danone [4], les dons de produits représentaient la majorité (80 % ) des produits fournis aux épiceries sociales, les achats ne concernant alors que des compléments. Aujourd’hui, les proportions se sont inversées, en raison des politiques de lutte contre le gaspillage menées par les entreprises de l’agroalimentaire, tout au long de leurs chaînes de production. « Revivre, précise Alain Jezequel, reçoit des dons de fruits et légumes frais proposés par les organisations agricoles, des dons de produits laitiers et frais, d’aliments pour bébés et de produits d’hygiène, mais la majorité des produits approvisionnés sont issus d’achats en gros auprès d’industriels ou de grossistes. » L’éventail s’est ouvert aux vêtements, et aux jouets. Des jouets issus de collectes sont proposés à Noël aux épiceries sociales par la plate-forme de l’association en région parisienne.
Les familles avec enfants, souvent monoparentales, constituent une forte proportion des bénéficiaires de l’aide, qu’il s’agisse d’alimentation, de vêtements, de jeux, ou de produits d’hygiène : « L’hygiène des enfants (couches, produits de soin), souligne Alain Jezequel, représente une charge budgétaire hors de portée de certaines familles. »
Entreprise d’insertion
Sur le plan logistique, Revivre dispose de deux plateformes, l’une en Île-de-France et l’autre à Lyon, desservant l’Est, le Centre et le Sud. Son mode de fonctionnement, fondé sur le couple salariés-bénévoles, conduit l’association à chercher des personnes expérimentées dans diverses fonctions (gestion économique, informatique, logistique, contrôle qualité…) comme réalisateurs ou encadrants. « Grâce au projet Précarimap développé avec un mécénat de compétence, indique Alain Jezequel, nous disposons d’une cartographie des structures d’aide alimentaire et du degré de précarité par zones géographiques. Notre attention se porte donc sur des zones blanches, pour y développer des services de proximité ou d’itinérance. »
Reconnaissance du travail engagé depuis sa création, Revivre dans le Monde et ses associations affiliées sont depuis 2013 habilitées nationalement par l’État à recevoir des contributions publiques destinées à la mise en œuvre de la lutte contre la précarité alimentaire. En contrepartie, Revivre s’engage à mettre en place des procédures relatives au respect des normes en vigueur en matière d’hygiène et de sécurité des denrées. Un audit conduit en 2019 l’a confortée dans cette habilitation pour dix ans.
C’est grâce au contrôle de sa logistique que Revivre s’engage, au titre de sa mission d’entreprise d’insertion – sa deuxième après la lutte contre la précarité alimentaire –, pour former aux métiers de la préparation de commandes et de la livraison une dizaine de personnes éloignées de l’emploi. Elles sont aidées et encadrées dans leur formation et recherche d’emploi pendant deux ans. Depuis la création de Revivre, une centaine de personnes ont été ainsi accompagnées vers l’emploi. « Nous sous-traitons des affrètements de transport longue distance et sommes amenés à louer des entrepôts temporaires adaptés pour réguler les pics d’approvisionnement », explique Alain Jezequel. Cette compétence a valu à Revivre d’être retenue par le ministère des Solidarités dans le cadre de France-Relance, pour le développement du projet OptiLog, qui vise à rechercher et à mettre en œuvre des entrepôts temporaires permettant l’affrètement de commandes regroupées pour des structures géographiquement proches. Une action ouverte à d’autres structures d’aide alimentaire, dans une logique de mutualisation. Revivre en approvisionne 350 : épiceries sociales affiliées aux grands réseaux caritatifs, structures communales gérées par les centres communaux d’action sociale, centres d’hébergement, hôtels sociaux… Au nombre des acteurs qu’Alain Jezequel entend solliciter davantage figurent les entreprises : « La lutte contre la précarité, assure-t-il, devrait naturellement être une compétence de la RSE. Les jeunes en quête d’emploi interrogent leur futur employeur sur cette dimension, et les missions portées par des mécénats de compétences se multiplient. »
Action alimentaire, mais aussi nutritionnelle
La lutte contre la précarité alimentaire ne fait pas l’impasse sur la qualité de l’offre, l’équilibre alimentaire jouant un rôle majeur dans la prévention de certaines maladies, diabète, affections cardio-vasculaires, cancers, fréquentes dans les populations en situation de précarité. Revivre dans le Monde se préoccupe de la difficulté d’accéder à une alimentation équilibrée parmi les bénéficiaires de l’aide. Rn 2019, l’association a répondu à un appel à projets de l’Institut national du cancer (INCa) avec le projet PrevAlim, en collaboration avec la chaire ANCa d’Agro Paris Tech, l’équipe de diététique de l’hôpital Menhes et l’Association nationale de solidarité active. Retenu par l’INCa, ce programme est consiste à inciter les épiceries sociales à s’approvisionner en produits recommandés par le Plan national nutrition santé et à proposer des sessions d’information nutritionnelle à leurs bénévoles.
Pour aller plus loin, l’association appréhende la sécurité alimentaire de façon systémique, en tenant compte des causes de la précarité alimentaire, sociales, économiques et environnementales. « La transition durable, estime Alain Jezequel, doit toucher toute la chaîne, de la production agricole à la transformation, la distribution, jusqu’à la consommation, en tenant compte de la dimension humaine à chaque étape. » Les États généraux de l’alimentation, en 2017, préconisaient une aide alimentaire combinée avec des formes d’accès durables à l’alimentation. De fait, la crise sanitaire et sociale a suscité des initiatives qui vont au-delà des modèles classiques de l’aide : travail dès l’amont avec les producteurs, développement d’épiceries coopératives, déploiement de plateformes numériques pour rapprocher besoins et offres. Des initiatives que lesquelles il est « nécessaire de capitaliser pour assurer la transition alimentaire », conclut le président de Revivre dans le Monde.