Biodiversité
La forêt, objet majeur de la RSE
25/10/2021
Quel sont le métier et le modèle économique de Reforest’Action [1] ?
Stéphane Hallaire : Notre métier consiste à protéger, restaurer, créer des forêts, en France et dans le monde. Nous identifions des forêts dégradées avec l’aide de porteurs de projets qui vivent sur place et qui sollicitent notre soutien technique et financier. Une quinzaine d’ingénieurs qualifient les projets, la manière de restaurer ces écosystèmes, les arbres à replanter. Parallèlement, nous collectons en continu des fonds d’entreprises pour financer les projets de reboisement, dans le cadre de leur démarche RSE out dans une logique de développement durable, de biodiversité, de compensation carbone. Nous vendons donc aux entreprises des projets de restauration ou préservation de forêts tout en apportant notre compétence technique et le suivi des projets dans la durée. Nos prestations sont incluses dans le budget global du projet.
L’action sur la forêt est-elle prioritaire aujourd’hui pour défendre la biodiversité ? L’est-elle plus que la replantation de haies, la protection des rivières ?
S. H. : D’après la FAO, 80 % de la biodiversité terrestre est en forêt. Ce chiffre atteste de sa priorité, du moins de son caractère incontournable, même si la replantation de haies sur les surfaces agricoles ou la protection des rivières participent également de la défense de la biodiversité. On ne peut ignorer la forêt.
Toutes les entreprises sont-elles fondées à intégrer la protection de la forêt dans leur stratégie de biodiversité, ou seulement celles dont l’activité nécessite, à un stade ou un autre de leur chaîne de valeur, un prélèvement sur les ressources forestières ?
S. H. : Puisque 80 % de la biodiversité étant en forêt, toute entreprise qui veut intervenir sur la biodiversité doit agir sur elle, sinon elle ne traite pas le sujet à la source. C’est évident pour celles qui ont un impact direct sur la forêt dans leur chaîne de valeur, mais ça l’est aussi pour des entreprises de services qui consomment du papier, du carton…
Responsabilité en cercles concentriques
Quelles sont les étapes d’un projet forestier d’entreprise ? La plupart de ces projets s’inscrivent-ils dans une logique de réparation, de compensation, de prévention… ?
S. H. : Fruit de onze ans de collaborations avec des milliers d’entreprises, notre accompagnement se fait selon une approche par trois cercles concentriques abordés non pas de manière séquentielle mais en parallèle. L’entreprise doit agir sur la forêt en complément d’un effort conséquent de réduction de son empreinte sur la biodiversité ou sur le climat. La démarche commence, premier cercle, au plus proche de la chaîne de valeur de l’entreprise. Une entreprise – agroalimentaire, luxe, cosmétique, parfumerie… – peut, par exemple utiliser des terrains agricoles. Elle doit dès lors réintroduire de la biodiversité sur les territoires qu’elle utilise. Deuxième cercle : les forêts proches des parties prenantes de l’entreprise, clients, fournisseurs. On restaure alors les forêts à proximité des marchés de l’entreprise et on sensibilise les parties prenantes aux enjeux de la biodiversité. Enfin, troisième cercle : agir là où l’impact est le plus fort. On s’éloigne du métier et des parties prenantes de l’entreprise pour aller dans des régions avec lesquelles elle n’a pas de lien direct mais où un projet forêt peut avoir un impact important sur la biodiversité, le climat, comme en Amazonie, en Sibérie, en Afrique… Avec ces trois cercles, on s’assure de la pertinence et de la légitimité de la démarche de l’entreprise par rapport à son métier.
Combien d’entreprises accompagnez-vous ? Quelles sont les entreprises de PGC (alimentaire, cosmétique, hygiène, papeterie, électroménager…) les plus concernées par la forêt ?
S. H. : Depuis la création de Reforest’Action, il y a onze ans, nous avons accompagné trois mille entreprises, tous secteurs confondus, essentiellement en France, un peu en Europe et aux États-Unis, et en accompagnons cinq cents actuellement. Les entreprises les plus concernées sont bien sûr celles qui ont un impact direct sur la forêt, les entreprises – papier, construction … – qui utilisent des ressources ligneuses, issues du bois, celles qui utilisent des produits non ligneux, par exemple les fruits (agro-alimentaire) ou les fleurs (parfumeurs). Dans les chaînes de valeur industrielles, on est en présence de monocultures où il faut renforcer la biodiversité en plantant des haies, des arbres…
Dans les PGC, Reforest’Action travaille par exemple avec Moët Hennessy, Hennessy depuis 2019 et Ruinart depuis 2021. Moët Hennessy s’est engagé en juin dernier à une micro-collaboration pour deux mille arbres financés, mille au Brésil et mille en Australie, dans le cadre d’un programme de formation. Nous travaillons également avec cinq entités de Procter & Gamble.
Quatre critères de succès
Agir pour la forêt suppose-t-il pour une entreprise qu’elle compte en son sein des personnes spécialement qualifiées ?
S. H. : C’est mieux, mais ce n’est pas nécessaire, car la forêt est un sujet très pointu et les projets demandent des spécialistes. On ne peut pas attendre de chaque entreprise de PGC qu’elle ait en interne un spécialiste de la forêt.
Quels sont les freins à des projets tels que les vôtres ?
S. H. : Si on intervient en France, les freins concernent le manque de foncier, le morcèlement des forêts et les coûts élevés pour les restaurer. En zone tropicale, il y a certes beaucoup de forêts, mais on n’en connaît pas toujours les propriétaires, on peine à maîtriser l’ensemble des parties prenantes et il faut prendre garde de ne pas agir contre l’intérêt des villageois.
Quels sont les critères de succès, et qui les valide ?
S. H. : Il y a quatre critères de succès. Chaque projet doit renforcer la biodiversité et la diversité des essences. Plus une forêt est diverse, plus elle est généralement résistante et résiliente au changement climatique, à la sécheresse, aux tempêtes, aux maladie, aux attaques d’insectes ravageurs… Deuxième critère : le projet doit être porté par des acteurs locaux, propriétaires forestiers, communautés villageoises, qui vivent dans ou à côté de la forêt. Troisième critère : donner les moyens aux porteurs de projets d’agir, les accompagner techniquement, financièrement, les former. Enfin, il faut suivre les projets dans la durée, car ce qui prime est la croissance de l’arbre, qui demande du temps. En France, nos projets sont validés par Écocert.
Besoin de filières de formation ad hoc
L’opinion publique devient-elle plus sensible aux actions des entreprises et celles-ci moins exposées au soupçon d’écoblanchiment ?
S. H. : De fait, l’opinion publique est de plus en plus avertie, regardante sur la qualité des résultats et sur le fait que les entreprises cessent de communiquer sans raison, sans légitimité, même si certaines continuent à faire du greenwashing, de manière intentionnelle ou par maladresse. La communication doit être pertinente par rapport à l’action menée, action qui doit être d’envergure et non superficielle.
Faut-il un label pour distinguer les entreprises qui placent la forêt au cœur de leur action pour la biodiversité ?
S. H. : Il existe déjà beaucoup de labels ! Il faudrait surtout un label pour les entreprises qui se placent dans une logique de réduction de leur empreinte carbone de façon significative.
Faut-il des filières universitaires consacrées à la protection de la forêt ?
S. H. : Elles seraient les bienvenues. Nous nous sommes donné comme mission de créer une génération d’entrepreneurs de la reforestation, qui passe par la formation pour monter des projets de restauration ou de création de forêt. Nous espérons travailler un jour avec des universitaires pour créer des filières.