Entretiens

Transition écologique

“Assumer nos ambitions environnementales”

03/02/2025

Aider les entreprises à agir, améliorer la performance des filières REP, associer à la prise de conscience climatique celle de la dépendance à la biodiversité… il faut agir sur tous les leviers. Entretien avec Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.

Dans quel état d’esprit et avec quelles priorités avez-vous abordé vos fonctions ?

Agnès Pannier-Runacher : Avec responsabilité et ambition. Responsabilité, parce que l’effondrement de la biodiversité et le dérèglement climatique sont les deux grands défis de notre siècle. Ils conditionnent la survie de l’espèce humaine. Ils sont le legs que ma génération va laisser à ses enfants. Ambition, parce que notre pays est sur la bonne voie. Grâce à la planification écologique engagée par Élisabeth Borne en 2022 et poursuivie par Gabriel Attal, Michel Barnier et désormais François Bayrou, nous avons une méthode qui fonctionne. L’État fixe le cadre, le cap, secteur par secteur, et c’est ensuite aux acteurs locaux – entreprises, citoyens, élus locaux – d’assurer la mise en œuvre au plus près du terrain. Grâce à la planification les émissions ont diminué de 5,8 % en 2023.

C’est une invitation à l’action, mais aussi à l’humilité tant ce que nous avons devant nous suppose de revoir en profondeur nos modes de fonctionnement, et de le faire non seulement au niveau national, mais aussi en lien avec les autres grands pays. Nous avons fait des progrès qu’on n’imaginait pas possibles il y a seulement cinq ans, notamment rattraper notre retard en matière de baisse des émissions. Mais nous ne devons pas baisser la garde.

L’élection d’un président climato-sceptique aux États-Unis, la chute en Bourse de startups liées à la transition écologique… La transition est-elle toujours une priorité ?

A. P.-R. : Si ce n’était pas le cas, je n’aurais pas accepté d’entrer dans ce gouvernement. Il est tentant de repousser le moment d’agir, de penser que tout s’arrangera. Mais il suffit de regarder l’année qui vient de s’écouler : inondations aux quatre coins de la France, à Valence, en Floride ; catastrophes climatiques à répétition et à l’ampleur inédite, comme à Mayotte – j’ai une pensée pour tous les sinistrés –  méga-feux, sécheresses… Le coût de l’inaction est énorme. Il est dans notre intérêt que la transition écologique reste une priorité. C’est ce que la France continuera de porter dans les instances diplomatiques.

Le Premier ministre a engagé le gouvernement dans un effort de simplification en proposant un moratoire sur la directive CSRD et certaines réglementations ; comment comptez-vous mettre cela en place ?

A. P.-R. : Faire des procédures longues et complexes n’améliore ni le climat ni la biodiversité. Cela freine même parfois des projets importants pour baisser les émissions de gaz à effet de serre ou s’adapter au changement climatique. Je le vois tous les jours avec les énergies renouvelables ou les aménagements pour protéger les habitants des aléas climatiques. Les politiques écologiques ne doivent pas non plus conduire à délocaliser des productions hors d’Europe, alors que nous continuons à consommer ces biens. C’est mauvais pour le climat et pour l’emploi.

Ce qu’il faut, c’est assumer nos ambitions environnementales, car ce que demandent les entreprises, c’est de la prévisibilité, et travailler à une mise en œuvre simple et efficace des réglementations : faciliter la vie des entreprises qui agissent pour l’environnement et pousser à agir celles qui sont moins engagées. En tenant compte de leur taille et de l’effet de leurs actions ; on ne peut pas avoir les mêmes exigences avec une société mondiale et une ETI ou une PME. Il ne faut pas non plus donner une prime aux entreprises qui délocalisent en créant une concurrence déloyale avec celles qui maintiennent leurs sites en France et en Europe.

Dans ce contexte, la directive CSRD procède d’une idée importante : donner aux entreprises européennes un référentiel commun d’indicateurs de résultats sur les sujets environnementaux. Mais il ne faut pas transformer ce texte en rapportage coûteux à mettre en œuvre et finalement inopérant. Cela doit conduire à constamment chercher des solutions qui poussent les entreprises à passer à l’action et à s’améliorer dans les enjeux qui ont le plus de poids, quitte à revoir les seuils et les calendriers. Les discussions devront se poursuivre au niveau européen, avec tous les acteurs concernés.

Une amende de 1,5 milliard d’euros

Êtes-vous satisfaite des progrès en matière de gestion des déchets grâce aux lois Agec, et Climat et Résilience, notamment par rapport à nos voisins européens ?

A. P.-R. : Depuis ces lois, nous avons significativement réduit les volumes mis en décharge et progressé en matière de gestion des déchets. Toutefois, notre marge de progression reste importante, notamment en comparaison de nos voisins européens. C’est le cas avec les plastiques : en raison de ses deux mille kilotonnes d’emballages plastiques non recyclés, la France a dû verser une amende de plus de 1,5 milliard d’euros à l’UE en 2023. Je ne peux pas me satisfaire de cette situation. D’autant moins dans la situation budgétaire actuelle.

Certains considèrent que la solution passe par la consigne des bouteilles plastique. C’est une fausse bonne idée, car il s’agit des emballages plastiques les mieux collectés. Le vrai défi porte sur les autres emballages plastiques : comment faire qu’ils soient collectés dans le bac jaune ? Ce sont eux qui alourdissent la facture. Ce sera l’une de mes priorités en matière d’économie circulaire. Plus largement, je souhaite m’assurer de l’opérationnalisation des filières REP, car mon objectif est d’atteindre les performances de circularité des pays européens les plus efficaces.

Qu’attendez-vous des entreprises industrielles, notamment de celles de la grande consommation à l’égard de la biodiversité ?

A. P.-R. : La Banque centrale européenne estime dans un rapport que 72 % des entreprises européennes sont dépendantes de la biodiversité dans leur modèle d’affaires. J’attends des entreprises une prise de conscience de leur lien fondamental au vivant. De cette démarche dépend leur propre résilience et la diminution de l’érosion de la biodiversité.

Ce qui est vrai à l’échelle des entreprises l’est autant à celle des produits que nous consommons au quotidien. C’est pourquoi j’ai lancé le 28 novembre une consultation publique sur l’affichage du coût environnemental des vêtements. Chaque année, 240 000 tonnes de microfibres plastiques sont relâchées dans les océans en raison de la production, de l’entretien, puis de la fin de vie des vêtements synthétiques. Grâce à notre dispositif, les consommateurs disposeront d’une information fiable leur permettant d’orienter leurs choix ; et les fabricants pourront piloter leurs efforts d’écoconception des vêtements.

La lutte contre le dérèglement climatique est trop souvent séparée de la lutte contre l’effondrement de la biodiversité. Ce sont les deux faces de la même pièce. En 2025, mon ministère va amplifier son soutien aux entreprises qui s’engagent pour la biodiversité. Par un soutien à des filières présentant des enjeux importants de biodiversité et un niveau de maturité avancé sur ces sujets, par exemple, le tourisme ou les cosmétiques. Et par l’amplification du programme « Entreprises engagées pour la nature » de l’Office français de la biodiversité¹, qui vise à mobiliser le plus grand nombre d’entreprises dans des démarches robustes de prise en compte de la biodiversité et à valoriser leur action.

Enfin, il y a un besoin, urgent, d’aligner les flux financiers avec les objectifs de préservation de la biodiversité. Pour y parvenir, il est nécessaire de mobiliser des fonds publics et privés, nationaux et européens. Les textes sur les « sites naturels de compensation, de restauration et de renaturation » (SNCRR)², véritables crédits biodiversité à la française, ont été publiés il y a un an. L’idée est de proposer un modèle économique avec des solutions clé en main aux aménageurs, pour compenser leurs atteintes à la biodiversité, et d’inciter d’autres acteurs à s’engager en faveur de la biodiversité par la vente d’unités de restauration.

Nous devons combiner ces différentes solutions.

Un label antigaspillage dans les IAA

Pensez-vous que le secteur des PGC (qui comporte notamment le secteur de l’alimentaire émetteur d’un quart des GES) soit avancé en matière de décarbonation et qu’il a tous les moyens pour réduire fortement ses émissions ?

A. P.-R. : Le soutien de l’État va de pair avec une logique d’engagement par grands secteurs émetteurs de gaz à effet de serre, à travers l’élaboration de feuilles de route. Une dizaine de feuilles de route de décarbonation ont été élaborées entre 2022 et 2024. La publication prochaine de notre nouvelle Stratégie nationale bas carbone (SNBC) sera l’occasion de revenir vers les filières pour transformer ces feuilles de route en un plan d’action partagé entre les filières et les pouvoirs publics. Elle assigne ainsi aux acteurs de la grande distribution l’objectif de baisser de 30 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, poursuivant la dynamique de baisse de 12 % entre 2020 et 2022.

La filière agroalimentaire s’est saisie du sujet de la décarbonation de son activité et a déjà progressé. Les entreprises agroalimentaires, 17 000 entreprises à 98 % des TPE-PME, parviennent à réduire leurs émissions alors que leur activité a augmenté. Elles sont sur une bonne trajectoire. Le secteur a rédigé une feuille de route commune à l’automne 2023, pour identifier les actions à mener afin de réduire de moitié leurs émissions d’ici à 2030, le montant des investissements nécessaires, et dimensionner les politiques d’accompagnement. Les entreprises agroalimentaires jouent un rôle majeur, car elles définissent l’offre, l’environnement alimentaire des consommateurs.

L’État accompagne ce mouvement, notamment des industries agroalimentaires, avec un accès facilité aux financements du programme France 2030. Il soutient aussi leurs efforts pour réduire le gaspillage. Un label antigaspillage est déjà opérationnel dans la distribution, et bientôt en restauration collective. Les travaux pour une mise en œuvre dans les industries alimentaires suivront.

Outre la filière agroalimentaire, la décarbonation du secteur des produits de grande consommation passera également par l’économie circulaire et par une consommation plus responsable. Comme je le disais, nous comptons accroître nos actions en faveur de la prévention de la production de déchets, et développer plus massivement le tri et le recyclage, notamment par les filières REP. De même, nous souhaitons poursuivre nos efforts d’incitation à la réparabilité des produits durables, déjà permise par le bonus réparation pour le textile, les chaussures, ainsi que les produits électroniques et l’électroménager.

Autre exemple : le commerce en ligne représente aujourd’hui 14 % du commerce de détail et un million de tonnes de CO2. Ses empreintes environnementales peuvent varier en fonction des moyens de transport utilisés, de l’utilisation ou non d’un emballage de transport et du comportement des consommateurs en termes de pratiques d’achat et de choix du mode de livraison. Ce sont autant de leviers de décarbonation de la grande consommation que nous avons pour ambition d’actionner.

1. https://www.ofb.gouv.fr/entreprises-engagees-pour-la-nature.
2. https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000048245737.

Propos recueillis par Antoine Quentin

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