Entretiens

Transition agricole

PADV, le sol base du vivant

29/08/2024

L’association Pour une agriculture du vivant (PADV) entend changer radicalement d’échelle pour déployer l’agroécologie, en impliquant tous les acteurs dans des coalitions territoriales public-privé. L’Indice de régénération et le projet Covalo constituent le socle de cette ambition. Entretien avec Anne Trombini, directrice générale de PADV.

Quelle est la démarche de PADV et comment est née cette association ?

Anne Trombini : L’association Pour une agriculture du vivant, pensée en 2017, a été officiellement créée en 2018 par des acteurs de l’agroalimentaire, grandes surfaces comme Système U, industriels comme Brioche Pasquier, et plateformes comme Miimosa. À cette époque, le changement climatique, la décarbonation, n’étaient pas encore au cœur des priorités. Les industriels s’interrogeaient surtout sur la qualité des produits et des relations entre fournisseurs. Un tour de France des agriculteurs a permis à ces pionniers de découvrir que certains d’entre eux pratiquaient déjà l’agroécologie. À leur côté, ils ont pris conscience de la problématique d’érosion des sols ainsi que de la nécessité de se regrouper pour déployer l’agroécologie dans leurs filières. La démarche de PADV, systémique et holistique, tend à faire travailler ensemble tous les acteurs de la filière, toutes les parties prenantes pour relever le défi du changement d’échelle de la transition agricole. Car pour régénérer les sols, on doit adopter des approches agronomiques tenant compte de l’ensemble des cultures et de leurs interdépendances. En tant qu’acteur agroalimentaire, on ne peut plus fonctionner de manière verticale, on doit abandonner la méthode du silotage.

Quels agriculteurs accompagnez-vous aujourd’hui ?

A. T. : Nous distinguons deux types d’agriculteurs. D’une part les agriculteurs adhérents, actuellement au nombre de mille cinq cents et qui s’impliquent dans l’association. D’autre part les agriculteurs accompagnés par nos adhérents, coopératives ou industries agroalimentaires, et ils sont aujourd’hui plusieurs milliers.

Pas de transition sans l’élevage

Quel rôle joue PADV et quelles sont sa méthode – Indice de régénération notamment – et son organisation ?

A. T. : Notre rôle est d’être le tiers de confiance entre les acteurs qui peuvent avoir des intérêts contradictoires. Nous créons une vision commune développée autour de l’agroécologie, ses enjeux, sa mise en place et sa mesure. Nous créons les conditions du dialogue avec des ateliers d’intelligence collective et construisons, ensemble, les outils et les méthodes de la transition agricole. L’Indice de régénération en particulier est l’outil de mesure qui permet à l’agriculteur de réaliser un état des lieux tout en se positionnant sur une trajectoire de progrès. C’est un score sur 100 avec trois niveaux de critères et douze indicateurs principaux. Ils évaluent la santé du sol, des plantes et du paysage de la ferme (agroforesterie). Notre organisation est nationale et nous intervenons sur l’ensemble du territoire. Nous sommes une équipe de dix-sept personnes dont une partie exercent en régions. Nous adaptons au fur et à mesure nos méthodes, au début nationales, à un échelon plus local afin d’apporter à nos adhérents des solutions contextualisées pour chaque territoire.

L’élevage peut-il être concerné ?

A. T. : Oui, car il n’y aura pas de transition écologique sans élevage. L’élevage est malheureusement résumé aujourd’hui à ses externalités négatives. Notre combat porte sur un changement culturel nécessaire pour faire émerger une vision positive de l’élevage et augmenter ses externalités positives, dont le stockage de carbone. Il faut rappeler les fondamentaux du vivant et ses cycles, ainsi que la place essentielle des ruminants au service de la production de nos cultures végétales, et pas l’inverse.

Pour des coalitions horizontales d’acteurs

Quelles ont été vos premières initiatives ?

A. T. : Outre la création de l’Indice de régénération, qui nous a demandé trois ans de travail, nous avons à compter de 2019 accompagné nos adhérents pour la mise en place de contrats de filière agroécologiques avec les organismes stockeurs et les acheteurs (Brioche Pasquier, le groupe Soufflet). Cela nous a permis d’étudier les conditions du succès, les freins, le modèle économique, les modes de contractualisation, pour soutenir au mieux les agriculteurs. Le modèle optimal n’est plus celui de filières verticales mais de coalitions horizontales d’acteurs, afin de faire travailler ensemble tous les débouchés de la ferme, dans une vision et un modèle de déploiement communs.

En quoi la préservation des sols est-elle un enjeu prioritaire ?

A. T. : Tout simplement parce que s’il n’y a pas de sol, il n’y a pas de culture. Le sol est la base du vivant. Or on l’a un peu oublié. C’est dans le sol que commence la chaine trophique, enchaînement de la biodiversité du plus petit élément (bactérie, champignon, ver de terre, biomasse…) au plus gros qui s’en nourrit.

Le maximum de sol avec le maximum de plantes diversifiées

Quels sont les autres bénéfices de ces pratiques agroécologiques ?

A. T. : Le premier objectif est de régénérer les sols. Les autres portent sur le développement de bénéfices collatéraux dont le stockage de carbone, la production de la biodiversité, le stockage de l’eau. L’agroécologie cherche à couvrir le maximum de sol avec le maximum de plantes pour créer des écosystèmes diversifiés. Une partie est ensuite laissée dans le champ pour nourrir la vie du sol. La plante va être transformée en humus, qui est du carbone. On remet ainsi dans le sol le carbone qui était dans l’air et que la plante a respiré et transformé en photosynthèse. Ce stockage du carbone s’opère également avec la forêt.

Quels sont les freins à ces pratiques ?

A. T. : Il y a trois freins principaux. Le premier, culturel, est fondé sur l’idée reçue que les champs sont « sales », pleins de mauvaises herbes. Ils sont mal acceptés par le voisinage, la famille. Le deuxième est de nature technique : le nouveau modèle appelle des formations, des conseillers spécialisés, des solutions pertinentes, efficaces. Le troisième est de nature économique, car la transition a un coût, variable selon les types de culture, les systèmes de production et les territoires. Elle expose l’agriculteur, qui change radicalement de métier, à des risques dont ceux des rendements et de la rémunération. Il existe des aides partielles, des aides publiques pour l’achat de machines, mais il n’existe pas d’aide globale.

Baisse des rendements inévitables avec le modèle actuel

Quels peuvent être les effets de ces efforts sur les grands indicateurs de la transition écologique ?

A. T. : Augmenter le nombre de fermes actuellement en transition, de l’ordre de 10 à 15 % aujourd’hui. C’est un enjeu non seulement environnemental mais aussi de maintien des rendements à long terme. Ces rendements baissent depuis quelques années, ce qui est très inquiétant, notamment pour les industriels qui doivent produire dans le cadre de l’objectif de souveraineté alimentaire. Les pratiques agroécologiques conduisent à être plus résilient, grâce à la matière organique qui permet de stocker du carbone, de l’eau dans les sols, et augmente la biomasse. Il en va aussi des bénéfices en termes de créations d’emplois et de bien-être de l’agriculteur sur le plan du travail.

En quoi consiste le projet Covalo ? Quels sont ses objectifs, participants et moyens ?

A. T. : Covalo signifie « collectif et valorisation ». Le projet, né à il a deux ans, propose une vision et une démarche communes à l’échelle de six territoires pour construire une proposition économique de financement global et collectif avec les acteurs publics et privés (banques, assurances…). Premier territoire pilote, depuis le début de cette année : les Hauts-de-France, où douze acteurs agricoles et industriels sont déjà réunis ; nous souhaitons contractualiser avec deux mille agriculteurs, soit 5 % des agriculteurs de la région, d’ici quatre ans. Covalo va être lancé sur d’autres territoires en septembre. Il déclinera l’expérience en Normandie avec Natup, dans l’Ouest avec Terrena, en Charentes et Deux-Sèvres avec la Cavac, dans le Sud-Ouest avec Val-de-Gascogne, dans l’Est avec Soufflet Agriculture.

En quoi et pourquoi les industriels y participent-ils ?¹

A. T. : L’objectif premier est le maintien des rendements. Les obligations de reporting des industriels les conduisent à être proactifs sur le plan de la décarbonation, de l’agriculture régénérative. Nous leur proposons ainsi de répondre à un double enjeu : environnement et production.

1. Voir l’exemple de McCain dans la filière pomme de terre.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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