Entretiens

Des entreprises avec la Fondation des femmes

16/03/2022

Après six ans d’activité, la Fondation des femmes* tire un bilan positif des liens qu’elle a pu tisser avec les mondes économiques pour faire avancer les causes qu’elle défend. Entretien avec Anne-Cécile Mailfert, fondatrice de la Fondation des femmes

Que manquait-il aux nombreuses fondations caritatives pour qu’il ait fallu en créer une spécialement pour les femmes, en 2016 ?

Anne-Cécile Mailfert : Il manquait parmi les différentes fondations qui existaient une fondation consacrée à la promotion des droits des femmes et à la lutte contre la violence dont elles souffrent. Dans le rapport Où est l’argent pour le droit des femmes ? que nous avons écrit lors de la création de la Fondation des femmes, nous avons souligné qu’il fallait inventer une nouvelle philanthropie.

Existe-t-il des fondations similaires dans d’autres pays ?

A.-C. M. : Oui, mais elles sont rares, malgré le fait que la question de l’argent et des droits des femmes soit un sujet fondamental. Citons la fondation Mama Cash, créée en 1983 aux Pays-Bas, le Center for Global Women’s Health aux États-Unis à San Franciso en 2020. Le sujet de l’argent en faveur du droit des femmes est encore tabou.

Quel est le profil des équipes de votre Fondation ?

A.-C. M. : Les recrutements sont ouverts à toutes et tous, mais pour l’heure nos salariés sont plutôt des jeunes femmes. Nous sommes une quinzaine.

Relais associatifs partout en France

Quelles sont les causes que défend la Fondation des femmes ? Concernent-elles surtout la France ou le monde entier ?

A.-C. M. : La Fondation des femmes se concentre sur la France. Ses missions sont au nombre de trois : promouvoir et défendre les droits de femmes, accompagner et soutenir les femmes les plus vulnérables, et créer un environnement favorable à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Quelles sont celles que, depuis cinq ans, vous avez fait avancer ?

A.-C. M. : Nous avons mesuré nos impacts et ce qui a changé depuis cinq ans dans un rapport disponible sur notre site. Nous avons ainsi réussi à placer les moyens financiers pour les femmes au cœur des enjeux et du débat public. Les mesures sur le plan des dépenses publiques ont évolué dans le bons sens au regard du problème de la violence faite aux femmes, puisque le gouvernement a augmenté ses budgets. Deuxième impact : la prise en compte des féminicides depuis 2019. Troisième impact : la solidarité envers les femmes se développe, grâce en particulier à la collecte de produits hygiéniques dans les magasins ; on a reversé plus de 5 millions d’euros. Nous avons aujourd’hui des milliers de donateurs. Quatrième impact, la prise de conscience de l’égalité homme-femme. Notre baromètre indique, année après année, que les Françaises et Français sont de moins en moins tolérants vis-à-vis de l’inégalité, aussi bien dans le monde du travail qu’à la maison.

La Fondation dispense-t-elle une aide directement auprès des femmes, ou par l’intermédiaire d’associations ou entreprises partenaires ?

A.-C. M. : Nous travaillons toujours avec les associations, nos bras armés dans tous les territoires en France, et nous avons très peu d’aides directes, excepté par exemple des nuitées d’urgence que nous finançons pour que des femmes puissent être hébergées par les associations.

Soutien financier et offre de produits

Quelles entreprises vous soutiennent ?

A.-C. M. : Citons L’Oréal Paris, avec qui nous avons travaillé à un programme mondial baptisé « Stand up », qui finance une formation que la Fondation des femmes déploie partout en France pour apprendre à réagir quand on est témoin d’un harcèlement de rue. La Fondation a formé trente mille personnes. Cette formation est donnée dans le « Train de l’égalité », qui parcourt actuellement la France et qui est pris en charge par la SNCF. La Fondation compte une quarantaine d’entreprises partenaires, comme Galeries Lafayette, le groupe mutualiste Covea, Saint Gobain, la Plateforme du bâtiment, Maison du monde, etc. Nous ouvrons des Maisons des femmes dont certaines sont rénovées par leur financement et meublées par ces entreprises.

Avez-vous des critères de sélection pour accepter leur soutien ?

A.-C. M. : L’entreprise ne doit pas être néfaste pour les femmes (industrie pornographique, industrie toxique…). Elle doit développer une politique en faveur des droits de femmes, favoriser l’égalité homme-femme, être sincère dans son engagement, éviter le womanwashing dans la communication !

Vous accompagnent-elles directement, ou à travers leur propre fondation d’entreprise ? Qu’attendez-vous d’elles : soutien financier, offre de produits (hygiène et soin par exemple), mécénat de compétence, promotion de votre fondation ?

A.-C. M. : Les deux, car cela dépend des entreprises. Nous attendons prioritairement une aide financière, car notre fondation ne fonctionne que grâce à ce soutien. Sans l’argent des entreprises, notre fondation n’existerait pas. Elles nous apportent également une audience auprès de publics (salariés, clients et prestataires) grâce à leurs marques, qu’on ne touche pas directement. Par ses pratiques commerciales et de production l’entreprise peut également nous aider, par exemple les Galeries Lafayette qui réfléchissent à une marque de mode engagée auprès des femmes, à sa communication et à son design.

Critère de choix électoral

Le grand public vous apporte-t-il aussi un soutien, dons ou bénévolat ?

A.-C. M. : Le grand public nous apporte aussi bien des dons que du bénévolat. Nous avons réussi à reverser, grâce à la générosité des Français qui ne cesse de croître, plus de cinq millions d’euros à des associations depuis notre création.

Quels nouveaux enjeux votre Observatoire, publié depuis 2019, révèle-t-il pour 2022 ?

A.-C. M. : Pour les Français, la lutte contre les violences conjugales et sexuelles est prioritaire ainsi que celles sur les réseaux sociaux, particulièrement depuis le confinement. Ils sont également très attentifs à la manière dont les institutions, justice, police, répondent aux demandes des femmes victimes de violence. Ces quatre dernières années la confiance dans ces deux institutions a fluctué, à la hausse durant le confinement et à la baisse depuis cette année. Enfin, pour 82 % des Françaises, la défense des droits des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes font partie des critères de choix à l’élection présidentielle.

* Fondationdesfemmes.org.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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