Entretiens

Emballage : une chaire pour une révolution

16/05/2022

Sans équivalent à l’étranger à l’échelon des universités, la chaire “CoPack” fédère les ressources de la recherche pour développer des emballages éco-compatibles avec la transition écologique. Entretien avec Sandra Domenek, professeur à AgroParisTech (ingénierie des aliments et bioproduits) et directrice de la chaire CoPack.

Quelles sont les raisons qui ont présidé à la création, le 3 mars dernier, de la chaire CoPack [1] ? La loi Agec y a-t-elle été pour quelque chose ? Que manquait-il aux filières de l’emballage ?

Sandra Domenek : L’idée de la chaire CoPack précède la loi Agec. J’avais bien avant pressenti le besoin de créer un espace d’échange entre les acteurs de la chaîne de valeur des emballages, qui exercent des métiers complémentaires mais qui ont peu souvent l’occasion de se parler et de travailler tous ensemble. En effet, leurs échanges sont certes productifs, mais sont toujours de type client-fournisseur, avec une dimension commerciale, et ils ne portent pas sur leurs problématiques respectives.

La loi Agec a accéléré la création de la chaire en exerçant une forte pression pour la mise en œuvre de l’économie circulaire. Tous les acteurs des chaînes de valeur de produits de grande consommation, mais aussi les prescripteurs -– associations, chercheurs, ministères, services publics – doivent contribuer à sa mise en application et ainsi à la réduction du gaspillage. L’objectif de la chaire est de développer une plateforme de démonstration commune pour tester la faisabilité des solutions.

Quels acteurs la chaire réunit-elle et comment s’organisent-ils pour travailler ensemble, étant très divers par les compétences et les visées ?

S. D. : CoPack est une chaire partenariale de mécénat, portée par la Fondation AgroParisTech, sous égide de la Fondation reconnue d’utilité publique ParisTech. Cet ancrage assure à la chaire sa vocation de produire des savoirs et des talents totalement voués à l’intérêt général, sans enjeux politiques, en assurant la diffusion des résultats à tous. Au cœur de l’excellence académique d’AgroParisTech, elle réunit différentes acteurs, des mécènes, des fabricants de matières comme l’Association française des matériaux compostables et biodégradables (AFCB), un partenaire technique pour la plasturgie (EuraMaterials), le Gret, ONG de transfert de technologies vers les pays du Sud, notamment dans le champ de la production d’aliments infantiles afin de lutter contre la malnutrition, l’entreprise de logistique Stef, une Syctom, acteur majeur de  la fin de vie, l’agence de communication RSE Linkup Factory, les acteurs académiques université de Montpellier et AgroParisTech, l’éco-organisme Leko, et un partenaire technique pour la communication, Adebiotech.

Dans un premier temps et étant au début de la création de la chaire, nous organisons, pour travailler ensemble, des réunions, des séminaires, des publications et des ateliers. Nous faisons un état des lieux de l’existant et étudions ensemble les voix d’amélioration. Ce premier travail de clarification des problématiques de la chaîne de valeur nous permettra la planification et le dimensionnement des actions d’innovation concrètes sur le terrain.

La loi a arrêté une stratégie « 3R » ; vous travaillez sur les « 5R ». Pouvez-vous préciser cette approche ?

S. D. : Les « 5 R » ont été popularisés en France par les ONG avant les « 3 R » : « refuser, réduire, réutiliser ou réparer, recycler, composter ». (« composter » traduisant l’anglais “rot”) Ces verbes reflètent la hiérarchie européenne du traitement des déchets proposée par la directive 2008-98 actuellement en révision pour 2023 : prévention, réutilisation-réparation, recyclage, valorisation énergétique et élimination. Précisons la sémantique française [2] : le réemploi se définit comme « toute opération dans laquelle les substances, matières ou produits qui ne sont pas des déchets sont utilisés à nouveau pour un usage identique à celui pour lequel ils avaient été conçus » ; la réutilisation est « l’utilisation d’un produit qui est devenu un déchet et qui est utilisé à nouveau mais pas dans le même type d’application qu’à l’origine ». Cela peut prêter à confusion.

Mathématique prédictive de la migration des contaminants

Comment abordez-vous la problématique des contaminants dans les plastiques ? À quel moment de la chaîne de l’emballage le risque est-il le plus fréquent ?

S. D. : Nous l’abordons à partir de la recherche. Je fais partie de l’unité mixte technologique  22.07 « Matériaux d’emballage sûrs » Laboratoire national de métrologie et d’essais-AgroParisTech-Inrae, qui développe des outils mathématiques prédictifs de la migration des contaminants chimiques des emballages vers les aliments. Parmi les substances qui peuvent être contenues dans un emballage, il en existe qu’on ne connaît pas et qui peuvent être des produits de dégradation de substances initiales, ou des contaminants liés à une contamination d’outils de fabrication. Les scientifiques avec lesquels je travaille ont conçu dans les années 1980 les bases scientifiques du règlement européen sur les matériaux en matière plastique en contact avec les aliments (CE n°10/2011). Ce règlement établit des limites de migration de substances contenues dans l’emballage vers l’aliment, afin de gérer le risque et de garantir la protection du consommateur. Pour ce faire, il y a besoin de mesures de contaminants, un défi pour les approches analytiques quand il s’agit d’identifier et de quantifier des contaminants inconnus et aléatoires.

Nous développons conjointement avec les approches analytiques des approches calculatoires par modélisation, pour évaluer le risque de migration de ces substances, et prédire là où on ne sait plus mesurer. Notre approche peut être appliquée à chaque étape de la vie du couple emballage-aliment (fabrication et dimensionnement de l’emballage, mise en contact avec l’aliment, stockage, utilisation du produit emballé) et pour analyser les transferts d’une étape vers une autre. Cela permet de gérer les risques tout au long de la chaîne d’usage.

Faille réglementaire sur le papier-carton

Y a-t-il un risque de migration différent, avec les nouveaux matériaux écologiquement plus recommandables ?

S. D. : Tout matériau en contact avec un aliment doit répondre à la même réglementation. Aujourd’hui, très peu d’emballages disponibles sur le marché sont compostables. Nos recherches ont montré l’absence de substances préoccupantes dans les polymères compostables que nous avons analysés. Ce n’est pas surprenant, parce que ces matériaux, en plus d’être conformes à la réglementation en vigueur, doivent démontrer l’absence d’écotoxicité lors de leur dégradation. Et leur durée de vie est plus courte que celle des matériaux pétrochimiques.

Cependant, la situation actuelle est hétérogène. En effet, ces dispositions ne concernent que les plastiques. Dans le domaine des papiers et cartons, il n’existe pas de réglementation européenne unifiée sur les risques des contaminants. Des ONG (Foodwatch) et des collègues académiques suisses (Cantonales Laborator Zürich) ont réalisé des études sur le sujet, montrant que des substances préoccupantes peuvent être présentes dans ces matériaux. Des études en vue d’innovations pour y remédier sont en cours.

Sous l’aspect sanitaire, dans quelle mesure le vrac peut-il se substituer à l’emballage ?

S. D. : Il ne le peut pas, car la fonction première de l’emballage est la protection des aliments, notamment sur le plan sanitaire. Avec le vrac, l’aliment est en contact avec toutes les contaminations physiques (poussières…), contaminations microbiologiques ou agressions par des insectes, des rongeurs… Les huiles ouvertes rancissent vite.

Le vrac impose une réflexion profonde sur la façon dont les aliments sont distribués. Il y a deux types de vrac. Le premier est celui proposé dans les grandes surfaces et magasins spécialisés, qui distribuent des produits présentant de très faibles risques microbiologiques : la sécurité de l’aliment dans l’étal est garantie par l’industriel, qui cependant n’est pas en responsabilité par rapport au nettoyage du contenant apporté par le client. Le deuxième type est la vente des produits sur les marchés ou par des artisans (boucher, poissonnier…). Ces commerçants doivent garantir la maîtrise du risque sanitaire avant la vente. Ici, la loi rend l’utilisateur, le client, responsable aussi bien sur le plan du contenant qu’il apporte que de l’hygiène de son lieu de stockage à la maison. Sur le plan sanitaire, un travail de recherche est à faire si l’on souhaite étendre  la vente en vrac en libre service libre(comme au supermarché) à une plus large gamme de produits.

Bioplastiques prometteurs

Qu’est-ce qu’un emballage à « juste impact » ?

S. D. : C’est un emballage qui existe parce qu’il est vraiment nécessaire dans le contexte d’usage, où il offre une la protection efficace requise pour la sécurité et la qualité de l’aliment. Il a un impact écologique le plus petit possible et il peut être utilisé et valorisé par tous les acteurs de la chaîne de valeur, y compris ceux du traitement de fin de vie. Avec l’emballage à « juste impact », on demeure dans une démarche de durabilité faible qui privilégie la protection du consommateur.

Quelles alternatives aux emballages non recyclables et aux déchets non recyclables  préconisez-vous ?

S. D. : Si le recyclage n’est pas possible, il faut privilégier le compostage, car le compost est un structurant du sol agricole, ou encore recourir à la méthanisation pour produire du biogaz.

Quel avenir envisagez-vous pour les bioplastiques (résines biosourcées et biodégradables) ?

S. D. : Le bioplastique biosourcé a un caractère renouvelable, car une partie des matières premières utilisées pour le produire est biosourcée, ce qui diminue la quantité de pétrole utilisée. L’autre avantage est que les bioplastiques peuvent se substituer au plastique conventionnel pétro-sourcés (PET). Concernant les plastiques compostables, l’éco-bilan est plus favorable qu’avec ceux issus de la pétrochimie, et leur gestion en fin de vie pourrait être plus facile et plus sobre (moins consommatrice en énergie).

Qu’en est-il du compostage et de la biodégradabilité des emballages ?

S. D. : Il faut distinguer les deux mots : la biodégradabilité est une propriété qui permet à un matériau d‘être décomposé et assimilé par les micro-organismes, c’est une potentialité. Quant au compostage, il concerne des conditions spécifiques dans lesquelles la biodégradation d’un matériau est possible. Les matériaux labellisés compostables fonctionnent à l’échelle des plateformes de compostage, mais la difficulté tient aux pratiques des particuliers. Il est difficile pour les fabricants de ces emballages d’anticiper le comportement des utilisateurs en matière de compostage domestique.

Vos recherches portent-elles aussi sur le gaspillage alimentaire ?

S. D. : La raison première de l’emballage est de prévenir et réduire le gaspillage alimentaire. Dans la chaîne logistique alimentaire, l’agriculteur perd 32 % , l’industriel, 21 % , le distributeur, 14 % et le consommateur 33 % , selon l’Ademe. L’emballage contribue à réduire les pertes aux étapes qui suivent la transformation industrielle.

La conception mutualisée d’emballages responsables soutenue par la chaire CoPack a-t-elle son équivalent dans d’autres pays ?

S. D. : Je n’ai pas trouvé d’équivalent. Ce qui peut s’en rapprocher, ce sont les grands projets européens de recherche ou des fondations type Ellen MacArthur.

[1] https://www.chairecopack.fr.
[2] Code l’environnement, L. 451-1-1.

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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