Transition écologique
Sortir du catastrophisme, regarder vers l’avenir
20/12/2022
Avec quelle ambition avez-vous pris la présidence de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire ?
Jean-Marc Zulesi : Nous sommes à un moment crucial face à l’urgence écologique, dans une période démocratique parlementaire également inédite. J’ai été élu président de cette commission à l’heure où les équilibres politiques à l’Assemblée sont bouleversés, et où les sujets liés à la transition énergétique sont plus que jamais essentiels. Je souhaite incarner l’écologie du quotidien, l’écologie du réel, l’écologie de la France qui se lève tôt. Je souhaite que la commission du Développement durable reflète et porte ces réalités. Nous devons tous faire front uni face à l’urgence climatique.
Quelles sont vos chantiers prioritaires ?
J.-M. Z. : Les sujets de la commission sont au cœur des ambitions en matière de transition écologique. L’actualité montre à quel point les sujets en lien avec le développement durable et l’aménagement du territoire sont prioritaires. Incendies, sécheresse, lutte contre le réchauffement climatique : les sujets de cette commission doivent irriguer l’ensemble des travaux parlementaires.
Jamais les sujets de la transition écologique n’ont été aussi importants. Il n’y a pas de fatalité. Derrière chaque difficulté, chaque crise, il y a des opportunités pour rebâtir, pour créer et innover. Notre pays a tous les atouts pour construire non pas un modèle décroissant où les plus modestes seraient directement mis de côté, mais un projet de société vraiment collectif, fondé sur une croissance durable. Oui, la croissance durable, car dans ma bouche ce n’est pas un gros mot. La transition écologique ne se fera pas au détriment de la compétitivité de nos acteurs économiques. Et pour bâtir cette croissance durable, la sobriété a toute sa place. Rénover des bâtiments, améliorer l’efficacité énergétique, c’est faire travailler des entreprises, transformer une matière première en produit isolant, c’est donc créer une richesse pour au final consommer moins, consommer mieux et gagner en confort de vie.
Parmi les sujets prioritaires que je porterai figurent le déploiement et l’accélération des énergies renouvelables, les mobilités durables et le renforcement des moyens alloués aux transports, la préservation de la ressource en eau, la gestion des déchets, la promotion de l’économie circulaire. Les sujets agricoles et agroalimentaires sont également essentiels pour notre pays. Je souhaite que notre commission puisse travailler avec l’ensemble des acteurs pour développer une alimentation durable.
L’industrie : 100 % des solutions
Vous dites que la transition écologique se fera avec les entreprises et non contre elles. Est-ce une rupture par rapport aux législatures précédentes, au cours desquelles de nombreuses dispositions très coercitives ont été prises ?
J.-M. Z. : Nous avons trop souvent opposé l’écologie à l’industrie. Je pense que c’est une erreur, une partie des réponses au changement climatique vient de nos entreprises. Décarboner, ce n’est pas faire de la décroissance. Au contraire, cela veut dire innover, développer les technologies qui nous permettront demain de produire sans émettre de CO2. Ce n’est pas de la science fiction ; c’est déjà une réalité pour un certain nombre d’industries qui ont mis en place des solutions innovantes.
Je souhaite sortir d’une vision catastrophiste. Les solutions qui permettent de concilier croissance et industrie existent. Nous devons nous en saisir. L’industrie représente 18 % des émissions, mais est également une partie des solutions.
Sur quels thèmes souhaiteriez-vous travailler avec les entreprises en général et les fabricants de produits de grande consommation de marques en priorité ?
J.-M. Z. : Les entreprises, et particulièrement les entreprises de grande consommation, sont concernées au premier chef par la transition écologique, puisqu’elles mettent sur le marché des produits qui touchent le quotidien des Français. Nos concitoyens achètent chaque jour soixante-six millions de produits de grande consommation sous marque, en alimentation, en hygiène-beauté ou en entretien. Is ont l’opportunité par ces achats d’être « consom’acteurs », en choisissant le meilleur produit pour leur santé et pour la planète. Encore faut-il que les entreprises offrent ce choix.
Il faut travailler sur le volet sanitaire dans un premier temps. Je pense que ces entreprises ont une réelle responsabilité à proposer des produits durables. Il y a une excellence française et européenne dans ce domaine, avec un système d’autorisations et de contrôles très complet. Malgré tout, les événements de ces dernières années montrent qu’il reste perfectible et qu’il exige la vigilance de toutes les autorités et de tous les opérateurs. En la matière, le Parlement a beaucoup œuvré, que ce soit sur le renforcement de la traçabilité, la réduction des additifs ou l’information des consommateurs sur la qualité des produits. Sans la certitude de consommer des produire sûrs et sains, il ne peut y avoir de croissance durable du secteur.
Sur le volet environnemental, la commission du Développement durable est un incubateur d’idées, que ce soit sur le respect de la saisonnalité des produits, l’économie circulaire, la baisse des émissions de gaz à effet de serre associée à l’approvisionnement des entreprises, à la transformation des produits et à leur consommation. Pour l’économie circulaire, les lois Agec et Climat et Résilience ont engagé un changement dans nos modes de production et de consommation. Je serai particulièrement vigilant sur la mise en œuvre de ces deux textes, qui doivent permettre d’aboutir à un modèle de production plus vertueux pour notre environnement, à travers la réutilisation et l’économie dans l’usage des ressources.
J’ai constaté que l’Ilec avait lancé avec la grande distribution des expériences pilotes sur la vente en vrac, pour comprendre les obstacles à son développement et trouver les solutions afin d’atteindre l’objectif fixé dans la loi Climat et Résilience. Sur ce sujet comme sur la question du réemploi ou du recyclage moléculaire, la créativité des entreprises sera essentielle !
La mise en place de l’affichage environnemental permettra aux consommateurs de récompenser par leurs décisions d’achat les entreprises leaders et les produits les plus vertueux pour l’environnement.
Enfin, je souhaite que l’on puisse travailler sur les enjeux de ressource en eau, et plus largement sur un modèle de production qui soit adapté à nos objectifs de sobriété énergétique.
Décarbonation de l’énergie, chantier du siècle
Vous allez examiner le texte sur les énergies renouvelables ; selon une récente enquête de l’Ilec parmi ses adhérents, les énergies renouvelables représentaient en moyenne 4 % de leur consommation énergétique totale il y a dix ans et elles s’élèvent désormais à 27 %. Comment accélérer encore cette transition ?
J.-M. Z. : Le projet de loi met en œuvre l’ambition présentée par le président de la République dans son discours de Belfort [1]. L’ambition est claire : faire de notre pays le premier à sortir des énergies fossiles et développer à grande échelle les énergies renouvelables. Cette ambition ne pourra être atteinte qu’à deux conditions : la sobriété énergétique par la réduction de notre consommation d’énergie ; l’augmentation de notre capacité de production d’énergie décarbonée (développement du nucléaire et des énergies renouvelables).
Produire davantage d’électricité́ décarbonée est le deuxième chantier structurant que nous avons à conduire dans les décennies qui viennent, car même si nous baissons de 40 % nos consommations d’énergie, la sortie du pétrole et du gaz dans trente ans implique que nous remplacions une part de l’énergie fossile par de l’électricité́.
Pour ce faire, nous devons investir dans nos territoires, et c’est tout le sens de la planification écologique que le gouvernement est en train de mettre en place. Nous devons travailler à l’optimisation de l’espace par la valorisation des friches, nous devons mieux travailler le partage de la valeur, nous devons accélérer le développement de notre mix énergétique, nous devons faire de la France un leader en matière de production d’hydrogène vert.
Quel pays de l’UE serait un modèle en matière de transition écologique, sur la manière et les résultats ?
J.-M. Z. : La France, bien sûr ! Trêve de plaisanterie, les pays nordiques ont un modèle extrêmement intéressant et produisent plus de 90 % de leur électricité grâce à des énergies faibles en carbone. Une stratégie très éloignée de l’action allemande, qui vise 49 % de renouvelables dans un mix pourtant toujours très carboné, avec le charbon.
Vous inquiétez-vous des surtranspositions françaises en matière d’économie circulaire ?
J.-M. Z. : Nous avons en effet des exemples de surtransposition qui entravent la compétitivité de nos entreprises par rapport à nos voisins européens, et qui pénalisent souvent les acteurs sur nos territoires. Toutefois, la France doit rester un pays précurseur au niveau européen, et doit continuer d’impulser d’ambitieuses dynamiques en termes d’économie circulaire, d’alimentation, de transition écologique. Nous devons travailler à ce que cette ambition franco-française ne porte pas préjudice à nos entreprises.
Équité de normes dans les échanges internationaux
Comment protéger l’industrie et l’agriculture françaises soumises à des normes écologiques plus élevées que leurs voisins européens et étrangers du dumping de la concurrence ?
J.-M. Z. : Les produits alimentaires importés dans l’Union européenne ne respectent pas toujours les normes qui y encadrent la production ; même des normes requises par un traité comme le Ceta peuvent être moins contraignantes que les normes internes à l’UE. Il est donc juste d’exiger que les importations répondent à des règles environnementales équivalentes, qu’il s’agisse du cycle de vie du produit à travers l’empreinte carbone, de déforestation importée, de sécurité alimentaire, de bien-être animal ou de rémunération de l’amont – même si le contrôle sera toujours plus aléatoire. C’est d’autant plus nécessaire que la stratégie de l’UE « de la ferme à la fourchette », par son ambition écologique, risque de creuser l’écart des exigences.
La question a été soulevée par la France dès le premier Conseil de l’UE sous présidence française, en janvier dernier. Cette initiative n’a pas été vaine puisque la Commission de Bruxelles a publié le 3 juin un rapport sur l’application des normes sanitaires et environnementales de l’UE aux produits agricoles et alimentaires importés, et a conclu à la possibilité de compléter les accords commerciaux lorsqu’une norme de production est introduite dans la réglementation européenne [2].
La limite des clauses miroirs tient aux règles de l’OMC, qui se fondent sur le seul Codex Alimentarius [3] pour justifier des restrictions à l’importation, or le Codex répond à un souci de sécurité alimentaire, mais ne concerne qu’incidemment l’environnement (par exemple à propos des pesticides) et ignore la dimension sociale.
Mais la concurrence qui pèse le plus sur l’agriculture française est européenne. Il est certain que l’élevage à la française, qui ne connaît pas les fermes-usines, est désavantagé en coûts. L’agriculture française, qui repose sur des pratiques vertueuses qui font la fierté et le rayonnement de la gastronomie française à l’étranger, est souvent pénalisée par les normes européennes. À cet égard, s’agissant de l’agriculture et aussi de l’industrie, l’enjeu est double : porter à l’échelon européen les exigences écologiques de la France, souvent pionnière en la matière, et veiller à éviter la surtransposition des règles communautaires. La transition écologique de l’économie a besoin d’un cadre légal, mais qui soit équitable et incitatif.
User des fonds de France 2030
Les acteurs de la chaîne d’approvisionnement de produits de grande consommation sont très affectés par l’hyperinflation des intrants agricoles et industriels, en particulier de l’énergie. Comment éviter que cela se traduise par un ralentissement des investissements de ces entreprises dans la transition écologique (décarbonation, économie circulaire et biodiversité) ?
J.-M. Z. : Nous avons connu ces dernières années une succession de crises, sanitaire d’abord, géopolitique ensuite, dont les effets sont indéniables. L’inflation du coût des matières premières agricoles et industrielles (emballages, transport, énergie) s’est transformée en hyperinflation à cause de la guerre subie par l’Ukraine. Nous sommes pleinement conscients des coûts générés par cette crise. Pour cette raison, nous avons apporté des mesures de protection à travers le bouclier tarifaire.
Depuis, la Commission européenne et les autorités françaises ont été en contact permanent avec les entreprises. L’Assemblée nationale a créé une mission de suivi sur l’inflation et une commission d’enquête sur la crise énergétique pour auditionner les experts et proposer des solutions.
Ce que je constate est que les entreprises qui avaient investi très tôt dans la sobriété énergétique et la décarbonation de leurs opérations sont mieux équipées pour affronter les situation actuelle. Selon le mot souvent prêté à Winston Churchill, « il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », j’inviterai les entreprises à utiliser les fonds publics mis à disposition dans le cadre de France 2030 pour aider au financement de la transition écologique. L’appel à projet « Industrie Zéro Fossile » a été clôturé récemment, mais il y en aura certainement d’autres.
Pensez-vous qu’il existe un moyen de repérer des « métiers de la transition écologique » de façon à en soutenir l’attractivité ?
J.-M. Z. : L’orientation des jeunes ne peut être exempte des priorités actées collectivement pour la transition écologique de l’ensemble de la société. C’est tout le sens de la campagne « Entrepreneurs du vivant » lancée pour l’agriculture dans le cadre de France Relance ; ou des actions de promotion des métiers dans l’industrie. Il faut veiller à ce que les compétences utiles aux transitions écologiques, secteur par secteur, celles que requièrent par exemple l’agriculture de précision, la sobriété énergétique ou l’optimisation des chaînes d’approvisionnement grâce à la maîtrise des données, ne soient en butte à un manque de main-d’œuvre, donc de formations qualifiantes. À travers France Compétences, nous avons mis l’accent sur l’importance de l’apprentissage dans la formation de nos jeunes sur le marché du travail.
Il n’y a pas à proprement parler de « métiers de la transition écologique », mais des filières de formation qui s’adaptent à ses impératifs. Et indépendamment du niveau de qualification requis, rien ne se fera sans attractivité ou revalorisation des métiers correspondant aux besoins de la transition. Ces métiers doivent pouvoir anticiper les besoins d’avenir, les transformations sociétales. Nous devons y investir.
La création d’un ministère de la « Transition énergétique » illustre pour ce secteur crucial la fusion des enjeux économiques et écologiques. L’existence distincte à l’Assamblée des commissions des Affaires économiques et du Développement durable serait-elle obsolète ?
J.-M. Z. : Il est normal que les sujets se recoupent : quelle que soit la commission, la recherche de l’intérêt général doit s’affranchir des segmentations ! Mais le travail ne manque pas pour deux commissions, et ce qu’elles font aujourd’hui est très complémentaire, j’ai d’ailleurs souvent l’occasion de visites de terrain communes avec mon homologue de la CAE Guillaume Kasbarian ;par exemple, nous nous sommes rendus aux Pays-Bas, dans le cadre de la préparation du projet de loi sur les énergies renouvelables, afin de nous nourrir des bonnes pratiques observées chez nos voisins européens. Nous avons visité le parc éolien offshore au large d’Haarlem, puis avons échangé avec de nombreux spécialistes néerlandais de la question.