Consigne nouvelle génération
07/04/2023
La consigne est une solution contre l’usage unique des contenants, mais elle reste complexe à mettre en œuvre. Peut-elle rivaliser avec le recyclage ?
Yasmine Dahmane : En France, la consigne était une pratique courante. Elle a disparu, notamment à cause de l’arrivée du plastique qui a progressivement remplacé le verre. À l’époque, cette innovation de la bouteille que l’on pouvait jeter et ne plus rapporter sur le lieu d’achat présentait un réel confort pour le consommateur. Aujourd’hui, les choses ont changé et nous raisonnons en diminution des déchets. Deux solutions sont possibles pour éviter le gaspillage de toute cette matière utilisée une seule fois, le recyclage et le réemploi. Recycler nécessite collecte, tri, refonte… et cette dernière opération est particulièrement énergivore. La consigne demande également une logistique particulière, de collecte, de tri, de lavage, mais elle évite de passer par la case refabrication d’un contenant. Bibak permet de piloter ce réemploi de manière optimale grâce aux données, que nous récoltons par les traceurs que nous plaçons dans les contenants.
Vous présentez Bibak [1] comme la « consigne 2.0 ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Y. D. : Bibak est un acteur du suivi de la consigne. Nous ne sommes ni des fabricants de contenants ni des laveurs, nous faisons partie de l’écosystème du réemploi. Bien sûr, par notre expérience et notre réseau, nous sommes en capacité de mobiliser tous les acteurs de la boucle de la consigne, pour mettre en place ce mode de consommation, mais notre expertise réside dans la donnée. C’est pourquoi nous parlons de consigne 2.0. Nous modernisons le mécanisme avec, en quelque sorte, une technologie embarquée à bord de chaque contenant, qui simplifie la vie du commerçant et celle du consommateur. Mais avant tout, elle permet la traçabilité du contenant, problématique au cœur de la boucle du réemploi. Pour que la consigne soit opérationnelle, il faut pouvoir répondre à tout moment à la question simple mais essentielle : « Où est le contenant ? » En effet, tout repose sur la gestion des stocks. Notre plateforme permet de suivre en temps réel les contenants, le taux de retour, le nombre d’utilisations, le stock disponible, le nombre de contenants encore chez les consommateurs ou en rayon.
QR code ou puce électronique
Pour la traçabilité des contenants, quelles sont les techniques utilisées ? Comment fonctionnent-elles ?
Y. D. : Deux techniques sont employées, le QR Code et la puce RFID [2]. Elles sont sérigraphiées sur les contenants pour une résistance quasi indélébile même après de nombreux lavages industriels. Chaque emballage a son propre identifiant, unique, tout au long de sa vie. Chaque code ou puce contient, en plus des indicateurs de gestion des contenants, ceux que notre client souhaite suivre, KPI financiers de rentabilité ou impact environnemental. Les marquages conviennent à une grande diversité de matières : verre, inox, plastiques.
Comment et quand sont-elles implantées sur les contenants ?
Y. D. : Nous proposons plusieurs possibilités pour faciliter le marquage des contenants. Nous pouvons étiqueter directement chez les clients qui ont leurs propres contenants consignables. Nous pouvons également intervenir chez leur fournisseur d’emballages. Nous travaillons avec des sociétés qui commercialisent des contenants, ce qui nous permet aussi de proposer un catalogue d’emballages déjà marqués. Pour certains contenants en plastique, nous avons même injecté les puces RFID dans la matière au moment du moulage, une garantie supplémentaire qui assure que le contenant sera toujours identifiable. Le choix entre les deux solutions, QR Code ou puce, se fait en fonction du volume de contenants, de leurs flux et des informations à collecter. Si le QR Code est moins coûteux, il requiert de scanner chaque contenant. À grande échelle, c’est plus difficilement gérable. La puce offre une quantité plus importante de données dont la récolte est automatisée par des capteurs, c’est un gain de temps important.
Des données pour chaque étape et chaque métier
Tracer l’emballage réutilisable du magasin jusqu’à son retour au point de collecte est votre objectif. Mais lorsqu’on parle de traçabilité des contenants, quelles sont les informations collectées ? À quoi et à qui servent-elles ?
Y. D. : Il y a trois types de données : opérationnelles, économiques ou environnementales. Les premières servent à suivre les contenants, mais aussi à la restitution du montant de la consigne. Les données économiques intéressent le producteur et le commerçant, elles permettent de suivre les ventes au plus près, de mesurer la rentabilité du système mis en place et donc de piloter son optimisation. À cela s’ajoutent des données comme les zones de captage. Savoir combien de contenants sont dans la boutique, chez le transporteur, le collecteur, le laveur, permet d’adapter le modèle à la réalité du terrain, et d’en évaluer la performance. Quant au volet environnemental il est calculé sur le nombre de retours, sur le taux de rotation des contenants, sur le nombre de clients convertis ou encore sur l’économie d’emballages.
Ces techniques ont-elles d’autres fonctions, et lesquelles ?
Y. D. : Les données actuelles ne servent qu’à suivre le contenant, ce qui est déjà très intéressant pour un industriel. La connaissance en instantané du lieu d’achat, de la quantité, du stock à l’entrepôt, sur le rayon du magasin, du réassort disponible… et tout cela en direct, sans intermédiaire, c’est très précieux. Mais les possibilités sont bien plus larges. Une marque peut par exemple interfacer des programmes de fidélisation à ses produits. Les possibilités sont innombrables et très attrayantes, elles offrent une proximité avec les consommateurs comme jamais, sur les habitudes de consommation, les quantités, les réachats, les variétés, le retour en magasin… Tout est rendu accessible. Bien sûr, toutes les données nutritionnelles, les obligations légales, pourront également être intégrées, et le curseur pourra être poussé aussi loin que la marque le veut : origine des produits, mode d’utilisation, recettes… La mise à jour de ces données sera également facilitée, contrairement aux étiquettes actuelles qui sont mises au pilon au moindre changement.
Vous avez développé une application mobile. À quoi sert-elle ? Quelles sont les données qui en découlent ? Les exploitez-vous ?
Y. D. : L’appli mobile n’est pas la solution que nous poussons actuellement, car elle peut exclure, notamment les personnes qui ne sont pas à l’aise avec les nouvelles technologies. L’appli présente un intérêt dans la création d’un réseau de consigne, dans un quartier par exemple. Cela permet de mailler les commerces qui utilisent des contenants consignés ; le consommateur peut alors acheter un plat à emporter dans un restaurant et restituer le contenant dans n’importe quel autre collecteur de son choix, dans un magasin par exemple. Cela offre plus de souplesse, car sans l’appli vous êtes tenu de retourner la consigne là où vous l’avez prise. Avec l’appli, nous collectons les montants de toutes les consignes et les restituons aux commerçants où le produit a été acheté.
Typologie des acheteurs
Les collecteurs de consigne sont connectés. Là encore, quelles sont les données collectées et à qui et à quoi servent-elles ?
Y. D. : Les bornes de collecte sont connectées pour lire les données de retour des contenants et restituer le montant de la consigne, en argent, en bons d’achat… La toute première donnée est bien sûr la reconnaissance du contenant. Le collecteur est un point de récupération de données intéressant, car il permet de mesurer à quel moment le consommateur revient, combien de temps le contenant est resté chez lui… Cela nous donne aussi des informations sur la typologie des clients qui font leurs courses « en consigne » ; les consommateurs en magasin ne sont pas les mêmes dans la journée et aux heures de sortie de bureau ou le soir, ou le week-end. En comprenant le comportement de ceux qui ont adopté la consigne on pourra en convertir d’autres. Les bornes de retour connectées sont également un élément de simplification de la consigne en point de vente. Cela évite au personnel de caisse de devoir récupérer et stocker les contenants sales dans son espace de travail, et de restituer le montant de la consigne. Toute une manipulation centralisée et automatisée qui soulage la gestion du retour en point de vente.
Comment répondez-vous aux consommateurs qui ne sont pas familiarisées avec les QR Code ? Se trouvent-ils exclus de la consigne ?
Y. D. : Non, le consommateur n’a rien à faire. Il achète, il retourne, et c’est le collecteur qui scanne ou lit la puce RFID et restitue le montant de la consigne. Notre modèle est totalement inclusif. Nous sommes « 2.0 », mais notre technologie ne rend pas la consigne inaccessible aux non-initiés. C’est le même principe que nous avons toujours connu pour la consigne, mais la donnée figurant sur les contenants permet une gestion plus fine, plus efficace et donc plus performante économiquement. Tout cela sert aux marques, aux commerçants, le consommateur n’y est pas confronté.
Ne craignez-vous pas que votre solution connectée s’oppose à la démarche des consommateurs engagés qui souhaitent des technologies sobres ?
Y. D. : Nous mettons la technologie au service de l’écologie en augmentant la réutilisation des emballages, et pour le consommateur il n’y a rien de digital dans son usage. Il prend, il restitue, on le « rétribue » pour son geste.
Économies d’échelle au réemploi
Les informations que vous collectez vous permettent-elles de prédire l’orientation que la consigne peut prendre ?
Y. D. : La consigne s’étend de plus en plus. Nous avons commencé notre activité dans les restaurants collectifs et ceux qui font de la vente à emporter, puis dans des festivals, actuellement nous travaillons avec la Ville de Paris pour les Jeux olympiques, et dans les magasins qui proposent des bars à salade. Mais nous sommes de plus en plus sollicités par des fabricants de produits et par des enseignes, pour vendre en contenants consignés. Nous sommes partis des bouteilles de verre, la consigne la plus communément admise, la plus ancrée dans les souvenirs aussi, et donc la plus simple pour faire revenir les gens à ce mode de consommation avec retour des contenants.
Nous travaillons de plus en plus pour le secteur de la cosmétique. Nous voyons se dessiner des tendances, se profiler des choix opérationnels de gestion des stocks, de logistique… Par exemple, la restauration collective travaille davantage avec une consigne différée, les restaurants qui livrent des repas s’orientent sur certains types de matériaux. Notre expérience et nos expertises nous permettent d’éclairer nos clients dans leurs choix. Bien sûr, nous apportons ces connaissances également dans des groupes de travail transverses, chez Citeo notamment. La standardisation des contenants est un modèle qui permet des économies d’échelle importantes au réemploi, ce qui est très intéressant.
La consigne peut revêtir différentes formes : différée, en argent, en bons d’achat…. Votre solution peut-elle répondre à chacune ?
Y. D. : Nous sommes en mesure de gérer toutes les consignes, c’est un paramétrage à la demande, en fonction de ce que notre client souhaite. Travaillant avec des restaurateurs de collectivité, des commerçants, des professionnels de l’événementiel, nous nous adaptons à tous les cas de figure et nous pouvons restituer la consigne avec tous les moyens de paiement, badge d’entreprise, carte bleue, carte de fidélité, bon d’achat… La restitution au consommateur est une incitation au geste pour ancrer une habitude. La « rétribution » du retour se décline en fonction de ce que notre client cherche : un remboursement simple, un bon de réduction à valoir dans le magasin ou sur une variété de produits, des points de fidélité sur les cartes, un cadeau, par exemple des places de concert – ce que nous avons mis en place dans un festival…
La consigne peut également être différée, c’est-à-dire que le consommateur paie une caution qui lui est restituée lorsqu’il retourne le contenant dans un certain laps de temps, au-delà duquel il la perd et devient propriétaire du contenant. Loin d’être anodines, les alternatives offertes dans le mode de remboursement sont des choix stratégiques de valorisation.
Copropriété des données
À qui appartiennent les données collectées ?
Y. D. : Les données nous appartiennent et nous sommes en copropriété, en quelque sorte, avec nos clients. Pour nous, elles sont « anonymisées ». À aucun moment nous ne connaissons les noms des consommateurs. Pour nos clients, les données sont plus précises, notamment si nous restituons la consigne sur la carte de fidélité, le magasin sait à qui appartient la carte. Alors le commerçant peut envoyer des informations ciblées vers ces personnes.
Y a -t-il des moyens mis en œuvre pour éviter le piratage de ces données ?
Y. D. : Nous veillons à la sécurité de nos données. Le fait que nous travaillons avec des organismes bancaires, pour le remboursement sur carte bleue, souligne l’intérêt que nous devons porter à cette sécurisation. Et nous répondons aux exigences du règlement RGPD.
La consigne 2.0 telle que vous la présentez est facilitatrice, pour autant, il persiste des freins dans l’adoption de la consigne par les industriels. Quels sont ceux que vous avez identifiés ?
Y. D. : Les marques sont encore dans la R&D de leurs contenants. Elles sont en phase exploratoire. Mais elles mesurent déjà toutes les opportunités de la consigne, tous les bénéfices en termes de fidélisation, de valorisation des produits… La consigne va se démocratiser. Aussi, au-delà du contenant, ce qui limite encore l’étendue de la consigne, ce sont les flux des contenants. Pour surmonter cet obstacle il faut raisonner en reverse logistic ou repenser entièrement la logistique en place, car, une chose est sûre, nous devons parvenir à massifier la collecte, le transport des contenants sales, et des propres jusqu’au retour à l’usine.