Décarbonation
La grande conso, secteur pilote
21/09/2023
Sous la précédente législature vous présidiez un groupe d’études sur les industries agro-alimentaires. Pourquoi avoir décidé d’élargir le champ de votre groupe d’étude à l’ensemble des produits de grande consommation et aux pratiques commerciales ?
Frédéric Descrozaille : Sous la précédente mandature, nous avions créé un nombre bien trop grand de groupes d’études. Il a été établi cette fois, au niveau de la présidence de l’Assemblée, que ce nombre devait être notablement réduit : cela a impliqué, d’une part d’en répartir les présidences et les responsabilités parmi tous les groupes parlementaires, d’autre part de retenir des périmètres thématiques suffisamment larges pour que la plupart des motifs d’études parlementaires soient regroupés et représentés.
Par ailleurs, même si les filières agricoles et alimentaires relèvent d’enjeux qui leur sont objectivement spécifiques, elles appartiennent au vaste univers de la « grande consommation », dont les enjeux prennent de plus en plus d’importance. Beaucoup de sujets peuvent être abordés transversalement, s’agissant des secteurs de ce grand ensemble économique.
Décarboner la logistique
Quelles sont les priorités de votre groupe d’études ?
F. D. : La priorité, et j’ai presque envie de dire la seule, c’est son utilité. C’est une gageure. Il est difficile de mobiliser les députés autour d’un groupe d’études. Nous avons tous des raisons de nous impliquer ailleurs, autrement : à l’occasion de textes à examiner, de missions d’information, de l’actualité qui nous porte sur un sujet ou un autre. Il faut donc travailler en profondeur, essayer de faire vivre un noyau dur de parlementaires impliqués sur la durée. À l’heure où je réponds à vos questions, je n’y suis pas encore parvenu.
Au-delà, ce groupe doit nous permettre d’approfondir des questions qui ne sont pas directement traitées par les échéances législatives portant sur ces secteurs ou sur la question des relations commerciales. Je pense à la décarbonation des filières et plus particulièrement à celle de la logistique, par exemple.
Quelle est la méthode de travail du groupe d’études ?
F. D. : La même que pour la quasi-totalité des groupes d’études : nous choisissons un thème, nous auditionnons les acteurs concernés et nous dressons un bilan ou une synthèse de ce que nous avons appris. Pour l’instant, nous n’avons pas produit de rapport, mais c’est quelque chose que j’ai en tête. Un groupe d’études utile, typiquement, doit permettre, dans le prolongement d’un dossier écrit, de saisir le gouvernement d’un enjeu d’application et de concrétisation des lois, d’améliorations réglementaires, ou même d’initiative législative.
Le 11 juillet, vous avez auditionné les représentants de l’Ilec, de l’Ania, de Perifem, de Carrefour et d’Intermarché, sur le thème « énergie, décarbonation et pratiques consommateurs induites ». Pourquoi commencer par étudier ce sujet ?
F. D. : Ce sujet a très vite été évoqué, entre les membres du groupe d’études, comme l’un des plus importants à aborder. Il relève non seulement d’attentes très fortes des citoyens et des consommateurs, mais aussi d’exigences légales et règlementaires régulièrement revisitées et complétées. La question des coûts de cette transformation attendue, du financement des investissements nécessaires, de l’harmonisation des pratiques et des données entre les métiers, est absolument centrale…
Des relations commerciales saines pour relever le défi climatique
La loi « tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs », qui porte votre nom, a divisé les acteurs qu’elle visait, pourtant vous avez décidé de les rassembler dans une même audition. Pourquoi ?
F. D. : Mais précisément parce que cette opposition est consternante. La loi qui porte mon nom n’a été ni pensée ni écrite contre une catégorie d’acteurs : son but ultime est de réunir les conditions d’une relation commerciale saine, c’est-à-dire orientée vers le développement des affaires au lieu d’un rapport de forces. Fournisseurs et distributeurs sont des partenaires. Il est inouï d’entendre les uns traiter les autres de voleurs ou de menteurs sur les plateaux de télévision ou sur les ondes. Si ce groupe d’études peut contribuer, à son modeste niveau, à rappeler que tous les acteurs de la chaîne ont vocation à relever des défis ensemble, tant mieux.
Quels sont les points clés soulevés par les personnes auditionnées et par les membres du groupe d’études lors de cette audition ?
F. D. : Premièrement, la capacité à travailler de concert sur un sujet d’une importance considérable, celui de l’utilisation et du coût de l’énergie. Cela montre, tout simplement, que c’est possible. Deuxièmement, l’importance de l’exemplarité et de la force d’entraînement. Ce travail en commun offre des possibilités, formule des recommandations, défriche des terrae incognitae : mais au-delà, les entreprises donnent suite, ou pas. Elles restent libres. Troisièmement, l’importance de mesurer les conséquences de ce que nous votons, comme parlementaires. Nous formulons des exigences, nous établissons des contraintes qui représentent des investissements, des changements de pratiques, le recours à des compétences et à des ressources jamais gratuites. Or nous mesurons mal les conséquences de ces décisions sur les entreprises : les études d’impact des projets et propositions de lois, quand elles sont réalisées, ne nous sont pas suffisamment utiles. Mais je pense que, paradoxalement, c’est parce que nous ne disposons jamais d’études ex-post sur ce qui est en vigueur. Nous avons beaucoup de progrès à faire, en matière de « légistique », c’est-à-dire dans l’art d’écrire la loi.
Les engagements des acteurs vous ont-ils semblé tangibles et significatifs ?
F. D. : Absolument. Ce qui manque, c’est peut-être le taux d’adhésion aux travaux et recommandations formulées, mais l’utilité concrète, pratique, de ces travaux est indiscutablement établie.
Mesurer, aider, assumer le coût, la complexité et le temps long
Quels freins avez-vous pu noter sur la voie des objectifs de l’Accord de Paris en matière de réductions des émissions de carbone ?
F. D. : Je préfère parler de défis que de freins. Ils sont malheureusement nombreux. J’en retiendrai cinq . Le premier, c’est de parler le même langage, de mettre les mêmes choses derrière les mêmes mots. On ne progresse pas si on ne sait pas mesurer le progrès. Ou, du moins, si l’on ne sait pas évaluer l’incidence concrète des efforts que l’on fournit. La question de la mesure est donc centrale, car elle doit permettre de comparer dans le temps et entre les métiers ce qui est fait et obtenu, globalement.
Le deuxième défi, c’est celui de l’accompagnement des entreprises qui n’ont pas les ressources des grands groupes. Accompagnement par des aides, par l’accès à des compétences.
Le troisième défi, c’est celui du coût. Il est totalement illusoire de croire que tout cela pourra être fait à iso-budget. Les prix, en grande consommation, sont toujours le reflet d’un choix de société. Nous sortons du choix d’un consumérisme inconséquent, soucieux de l’abondance à bas prix. Nous entrons dans celui de la consommation responsable, qui exige bien plus que le seul « accès prix. » Il faut en avoir conscience et ne pas se bercer d’illusions.
Le quatrième, c’est celui de la complexité. Energie, réemploi, emballages, eau…, les contraintes sont déjà nombreuses, les critères multiples. Or, dans un système complexe, l’optimisation du système ne correspond jamais à la maximisation de chacun des critères. Il faut de la cohérence, une approche globale, systémique.
J’ajouterai le défi du temps, du temps long : il faut de la stabilité règlementaire, et de la visibilité, particulièrement en matière de politique énergétique.
On pourrait allonger la liste…
Quelles sont les prochaines auditions ou les prochaines actions de suivi ?
F. D. : Ce n’est encore pas défini. Il a été évoqué un approfondissement de la question de l’énergie, avec une approche des réseaux d’approvisionnement et de raccordement en électricité, mais aussi du principe de l’économie dite circulaire et de son impact sur l’avenir du vrac… Nous allons bientôt nous réunir, après l’ouverture de la prochaine session, et nous allons en décider. Mon souci sera de sélectionner des sujets d’études de nature à impliquer le plus grand nombre de mes collègues, et les plus proches des préoccupations actuelles des entreprises.
Propos recueillis par Antoine Quentin