Entretiens

Solidarité

Le Secours populaire en mouvement

13/12/2023

Le Secours populaire s’appuie sur une organisation décentralisée, pour une activité multiple et un accueil inconditionnel. Entretien avec Thierry Robert, directeur général, et Émilie Lafdal, directrice des relations et partenariats privés, Secours populaire.

Quelles sont les origines de votre association ?

Thierry Robert : Le Secours populaire est né en 1945 de l’union de deux organisations avec pour mission d’être une association généraliste, intervenant de façon autant matérielle que morale auprès de personnes en situation de pauvreté ou de précarité. Il s’agit bien sûr de problèmes économiques mais aussi de catastrophes naturelles ou de conflits armés, comme actuellement en Ukraine ou au Moyen-Orient. Enfin, nous adoptons une logique d’accompagnement plus que d’assistance, de façon décentralisée. Nous réunissons 98 fédérations, 1 300 permanences avec 90 000 bénévoles.

Généraliste, le Secours populaire présente-t-il des spécificités ?

T. R. : C’est précisément qu’il est un mouvement généraliste, avec une approche de l’humain dans toutes ses dimensions, tout au long de l’année, avec de nombreux modes d’action. Même si la majeure partie des personnes en proie à la pauvreté ou à la précarité ont besoin d’une aide matérielle, notamment alimentaire, notre démarche est de les aider de différentes façons. Actuellement, nous soutenons des personnes victimes des inondations dans le Pas-de-Calais qui auparavant n’avaient pas forcément besoin d’une aide particulière.

Nous pouvons jouer également un rôle d’aiguillon des pouvoirs publics en favorisant l’accès aux droits ou aux soins. Alors qu’elles en ont le plus besoin, les personnes démunies retardent le moment de se soigner ou y renoncent. Les médecins du Secours populaire contribuent bénévolement à la prévention et à l’accès aux soins des personnes en difficulté. Pareillement pour l’emploi ou l’aide sociale ; nous avons d’ailleurs une action importante pour réduire la fracture numérique.

Pour résumer, je dirai que nous sommes plus une association de mise en mouvement que de solidarité, invitant chacun, y compris des enfants et ceux que nous aidons, à faire œuvre utile.

Votre action dépasse donc la seule aide alimentaire. Jusqu’où ?

T. R. : Bien sûr, nous avons une activité de collecte, notamment parce que nous sommes éligibles à l’aide européenne, mais aussi par des opérations de ramasse en grande distribution. Mais nous développons aussi des actions pour les vacances, pour le Père Noël vert, pour l’accès aux pratiques sportives – un effort particulier y sera consacré à l’approche des Jeux olympiques – ou culturelles, en partenariat avec des clubs, des associations, des musées… Nous œuvrons pour le maintien du logement, le coup de pouce à l’emploi. Nous cherchons aussi à développer la découverte des métiers et la formation auprès des jeunes. Près de la moitié des personnes que nous aidons au sein des familles sont des mineurs, auxquels nous devons donner des perspectives d’avenir.

Vous pouvez même intervenir dans des situations individuelles comme l’incendie d’une maison…

T. R. : Oui. Si une de nos antennes se trouve à proximité d’une famille qui a besoin d’aide en raison d’accidents de la vie, nous essayons d’intervenir. Quand il y a eu les effondrements d’immeubles à Marseille, notre fédération des Bouches-du-Rhône a été en contact avec les personnes touchées, d’autant qu’en l’occurrence il s’agissait de logements précaires. Dans l’immédiat, les collectivités territoriales font généralement le nécessaire, mais il manque toujours quelque chose, ne serait-ce que d’offrir un jouet à un enfant pour l’occuper, s’il est hébergé dans un gymnase. Nous sommes présents pour ces petits gestes.

Hors des radars des minima sociaux

Comment évoluent les demandeurs d’aide, leurs besoins et vos réponses ?

T. R. : Il y a bien sûr beaucoup de personnes sans emploi et des travailleurs pauvres, mais aussi, parce que notre accueil est inconditionnel, 5 % des personnes que nous aidons qui sont propriétaires de leur habitation. Cela signifie qu’elles ont d’abord connu une situation stable et pu obtenir un crédit pour acheter leur bien. Aujourd’hui, une partie de la population sort des radars des minima sociaux et des statistiques. Et pourtant, elles n’arrivent plus à joindre les deux bouts. Il y a aussi les familles monoparentales, les étudiants ou les seniors, que nous n’avions plus l’habitude de voir depuis les années 1980-90.

Quelles sont vos attentes en matière de partenariats avec les entreprises ?

Émilie Lafdal : Nous sommes dans une logique de partenariat, et non de mécénat, avec quelque deux cents partenaires au niveau national. Un chiffre qu’on peut sans doute multiplier par dix avec nos fédérations et comités qui développent des partenariats locaux. Nous travaillons avec de très grandes entreprises comme avec des PME ou TPE. Nous commençons par un effort de découverte mutuelle, parfois par une opération de produit-partage, pour aboutir soit à du soutien financier, soit à de la mobilisation de salariés, ou à des actions au sein de l’entreprise, du mécénat de compétences, du don en nature… Avec Henkel, nous avons mis en place l’arrondi sur salaires bien avant que cela n’existe, avec un abondement de l’entreprise.

Quelle évolution connaît cette activité pour le Secours populaire ?

E. L. : Nous avons commencé à mener des partenariats au milieu des années 1990. Dans les dix dernières années, il y a eu une montée en puissance grâce au souci des entreprises pour leur RSE. Le Secours populaire a gagné en notoriété par le travail remarqué de nos fédérations sur le terrain. La crise du Covid y a contribué, car dès le confinement nous avons décidé de ne pas fermer nos portes. Nous nous sommes réinventés pour continuer à pratiquer la solidarité, en sortant les tables, en organisant des drives, en allant à la rencontre des personnes. Les entreprises y ont été très sensibles.

Comment préparez-vous l’avenir dans un contexte qui n’incite pas à l’optimisme ?

E. L. : Je suis très optimiste quant à la mobilisation des entreprises, malgré une conjoncture en effet pesante, entre guerres et inflation. Il y a un réel élan de solidarité de la part des dirigeants et des salariés d’entreprises, qui ont le désir de s’engager. Quant aux personnes privées, les dons peuvent changer de forme, comme l’arrondi en caisses qui a fortement augmenté. Mais les Français restent généreux.

T. R : Une étude Recherche et Solidarité le confirme : la générosité des Français résiste à l’inflation, avec une augmentation du nombre de donateurs, notamment avec la jeunesse qui se joint aux plus âgés. La générosité ne se mesure pas avant tout aux montants mais aux gestes. Le nombre de nos bénévoles progresse, comme l’envie de faire avec du sens, tant chez les personnes que dans le monde de l’entreprise. Il ne suffit pas  de donner à manger aux gens, il faut aussi de construire une solidarité pour un monde plus juste. Et c’est souvent dans les périodes les plus difficiles qu’il y a le plus d’élans de solidarité.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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