Entretiens

Réemploi

Emballages professionnels, gisement majeur

15/01/2025

Alors qu’une “REP EIC” (responsabilité élargie des producteurs) va être mise en œuvre, le réemploi des EIC ressort comme l’une des solutions pour atteindre les objectifs fixés par la réglementation. Entretien avec Marc-Antoine Franc, directeur général de Twiice, société candidate au rôle d’éco-organisme.

En dehors des spécialistes, le sujet du réemploi des EIC (emballages industriels et commerciaux) est méconnu ; comment le décririez-vous ?

Marc-Antoine Franc : Nous préférons parler de « réemploi des emballages professionnels ». C’est un terme nouveau qui réunit les emballages industriels et commerciaux et les emballages de restauration, soit les emballages de vente ou de transport utilisés pour des produits à destination des professionnels. Donc il ne s’agit pas d’emballages destinés à la poubelle jaune. Il peut s’agir de palettes, de cartons ou de films de palettisation, sans oublier certains types d’emballage de vente comme les bidons, les seaux ou les « GRV »  (grands récipients pour vrac). Ce sont des emballages circulant entre les usines, les entrepôts, et les points de vente. Le réemploi consiste à réutiliser ces emballages en boucle fermée pour un usage équivalent. Donc à assurer sa livraison, son retour, sa réparation, son lavage, sa réintégration dans la chaîne de production. C’est tout une activité de service qui se met en place.

Les deux tiers des déchets d’emballages

Pourquoi Twiice s’est-il spécialisé dans ce secteur ?

M.-A. F. : Pour deux raisons. D’une part parce que c’est un enjeu national, puisqu’avec les deux tiers de tous les emballages mis en marché - 7,5 millions de tonnes environ - le poids économique et environnemental des emballages professionnels est considérable. Ils sont la partie immergée de la problématique des déchets d’emballages, mais nous disposons de forts leviers d’action à leur égard. D’autre part, une partie de ces emballages sont encore mal recyclés et ont donc des retombées négatives significatives sur l’environnement : il s’agit essentiellement des emballages en plastique, plus complexes à traiter, dont seulement 25 % sont recyclés, alors que la réglementation européenne attend 50 % dès 2025, et 55 % en 2030. Chaque année, la France doit payer une amende de 1,5 milliard d’euros pour ce retard, et ce coût risque, à terme, de retomber sur les entreprises. Bref, il y a là un gisement important pour faire progresser le réemploi et le recyclage.

Comment est né Twiice, avec quels objectifs et quels moyens ?

M.-A. F. : La SAS à but non lucratif Twiice a été créée en 2019 autour d’importants utilisateurs d’emballages professionnels d’une part, et des fabricants d’emballages d’autre part. Son objectif est d’anticiper et de prendre en main volontairement la question  des déchets d’emballages professionnels, pour en devenir un acteur clé, avec une expertise particulière sur le plastique. La gouvernance de Twiice est aux mains des metteurs en marché. La SAS a été conçue pour devenir un éco-organisme répondant aux exigences du Code de l’environnement. Pour son développement, elle est entièrement financée par vingt-sept entreprises et fédérations associées. Elle prépare sa candidature à l’agrément en tant qu’éco-organisme et mène simultanément des projets de réemploi ou de recyclage en boucle fermée. Nous avons déjà réalisé une trentaine de projets pour construire une expertise et un réseau, pour la collecte, le tri, le recyclage, l’écoconception…

Le réemploi d’emballages professionnels comme les palettes ou les GRV est déjà largement déployé dans entreprises. Nous nous focalisons sur le réemploi de deux catégories d’emballages : les petits emballages en plastique (bidons, seaux, flaconnage), qui nécessitent une technique de lavage pour être de nouveau homologués, et les cartons, qui sont en général à usage unique. Les entreprises de plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou traitant plus de  dix mille unités devaient atteindre un seuil de 6 % en 2024 ; nous proposons de les aider dans leur déclaration, sachant qu’elles doivent atteindre 10 % en 2027.

Une écocontribution spécifique

Comment préparez-vous votre candidature comme éco-organisme ?

M.-A. F. : D’abord en affinant notre offre pour proposer à nos adhérents des solutions pour la gestion de leurs emballages professionnels. Il s’agit d’explorer le champ des possibles pour aider les industriels à comprendre le réemploi et le recyclage, et ses bénéfices environnementaux, économiques et sociaux. Beaucoup d’entreprises n’en ont pas encore conscience. Il est vrai que leur logistique et leur gestion des emballages sont souvent déjà organisées de façon optimale d’un point de vue économique. Mais remplacer des emballages à usage unique par des réemployables peut réduire les coûts de gestion et les émissions de CO2. Nous sommes là pour montrer aux entreprises que les solutions existent.

Dans un second temps, nous les aidons à expérimenter ces solutions, et à passer à l’échelle avec des solutions clé en main, assorties éventuellement de procédés d’automatisation ou de créations de standards avec les fournisseurs retenus. Pour financer ces projets, les metteurs en marché devront verser une écocontribution ; les entreprises détentrices de déchets d’emballages pourront bénéficier de soutiens au tri et à la collecte grâce à un dispositif vertueux.

Et si vous n’obteniez pas l’agrément ?

M.-A. F. : La question est plutôt de savoir sous quelles conditions nous pourrons l’obtenir. Les pouvoirs publics vont définir un cahier des charges ; il sera de notre responsabilité de nous y conformer et de proposer les bons services aux entreprises. Nous avons tout construit pour devenir éco-organisme.

Dans l’attente de précisions réglementaires

N’est-il pas difficile de vous développer dans un contexte réglementaire encore imprécis ?

M.-A. F. : Nous avons déjà des orientations pour avancer suivant un double fonctionnement financier et opérationnel. Les grandes lignes sont là, même si nous sommes encore en attente d’informations sur les filières et les montants des soutiens.

Ne craignez-vous pas la concurrence entre les candidats ?

M.-A. F. : Au contraire, nous défendons ce système concurrentiel, qui incite à proposer les offres de services et d’accompagnement des entreprises les plus performantes et les plus innovantes. À titre d’exemple, nous contribuons activement au développement d’une plateforme européenne qui référence les fournisseurs d’emballages qui intègrent de la matière première recyclée dans leurs produits : . De cette manière, l’innovation est stimulée, ainsi que l’efficience économique. Des centaines de milliers d’entreprises seront concernées pour la responsabilité élargie du producteur dans cette filière. C’est pourquoi il sera nécessaire de déployer des services simples et parfaitement lisibles.

Prime d’incorporation

Justement, quel sera le coût pour les entreprises ?

M.-A. F. : L’État n’a pas encore fixé le montant des soutiens, sur lesquels sont basées les écocontributions, si bien que les simulations sont difficiles à réaliser. Elles diffèrent selon les cas. L’Ademe avait évalué l’assiette de besoin de financement autour de 450 millions d’euros, sur un reste à charge d’environ 750 millions pour l’ensemble des emballages professionnels…

Les entreprises peuvent-elles espérer un retour sur investissement ?

M.-A. F. : Les plus vertueuses pourront bénéficier d’une prime d’incorporation de matières premières recyclées dans les emballages qui devrait diminuer leurs coûts. Elles pourront également bénéficier de soutien au réemploi pour répondre aux objectifs européens. À long terme, le bénéfice sera une meilleure résilience, car travailler en boucle fermée, c’est se prémunir des variations de coûts de matériaux, de l’énergie, de la matière vierge. À court terme, les projets de réemploi permettront d’économiser sur le coût d’achat des emballages, voire d’optimiser la logistique. Ce sont des déchets présents à l’arrière des usines, des entrepôts et des magasins, sur lesquels l’entreprise a la main. Le sujet fédère les salariés autour d’un projet d’entreprise, sa RSE, la réduction de ses émissions de carbone en amont de la chaîne de production (scope 3) ; de quoi quantifier les actions et les valoriser dans la déclaration CSRD ou la trajectoire SBTI.

Encore une fois, n’oublions pas que les emballages professionnels concernent les deux tiers des volumes de déchets d’emballages en France. Plus de 2,5 millions de tonnes, 750 kt de plastiques, sont encore enfouies ou incinérées. Porter l’effort sur eux est capital.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

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