Vie des marques

Nestlé : connaître et agir pour la forêt

30/11/2022

Engagé depuis douze ans dans la réduction de son empreinte écologique, le groupe ambitionne un solde positif en termes de renouvellement des ressources et de préservation de leur environnement. Entretien avec Yannick Nguyen, responsable RSE, enjeux agricoles et forêts, Nestlé France

En 2010, le groupe Nestlé s’est engagé à mettre un terme à la déforestation dans ses chaînes d’approvisionnement à l’horizon 2020. Cet objectif est-il atteint ?

Yannick Nguyen : En 2010 nous avions annoncé qu’en 2020 notre chaîne d’approvisionnement serait exemptée de déforestation pour nos principales matières premières à risque. A l’issue de ces dix ans de travaux, 90 % de nos matières premières liées aux forêts ont été vérifiées comme exemptées de déforestation. Bien que nous n’ayons pas atteint l’objectif initial de 100 % , nous avons beaucoup appris et progressé durant cette période : comment mieux lutter contre la déforestation en apprenant beaucoup sur les dynamiques de territoire, connaître les causes de la déforestation, définir les outils pour évaluer les risques, et comment y répondre.

En parallèle, nous avons fait preuve de transparence, en publiant régulièrement notre progression, en rendant publique la liste de nos fournisseurs, en communiquant un tableau de bord relatif à l’huile de palme pour partager nos informations et nos apprentissages.

Des arbres par millions

Nous continuons à travailler à ce que notre chaîne d’approvisionnement soit vérifiée pour être totalement exemptée de déforestation d’ici à 2025 concernant le cacao (Plan Cacao Nestlé), le café (Plan café engagé Nescafé), l’huile de palme, le soja, la viande, la pâte à papier. Depuis 2019, ce sont quatorze matières premières prioritaires dont nous avons revu les chaînes d’approvisionnement et les enjeux spécifiques. Nous avons surtout la volonté d’aller plus loin que la seule lutte contre la déforestation. Nous voulons avoir un impact positif sur la forêt, grâce aux actions qui permettent d​‌’anticiper les risques de future déforestation pour qu’elle n’ait pas lieu ; agir pour la régénération et la restauration des écosystèmes qui ont été dégradés (par exemple en plantant deux cents millions d’arbres d’ici à 2030), mettre les droits de l’homme et les libertés fondamentales au centre des décisions en faveur des communautés locales [1].

Comment mesurer la part de la « déforestation importée » dans la chaîne de création du produit ? Quels outils utilisez-vous pour vérifier sur le terrain que les marchandises achetées n’ont aucun lien avec la déforestation ?

Y. N. : Grâce à dix ans d’expérience sur le terrain nous savons qu’il n’existe pas d’outil unique pour mesurer la déforestation qui soit efficace dans toutes les situations. Il faut utiliser une combinaison d’outils. Comme la traçabilité de notre chaîne d’approvisionnement et le croisement avec les zones à risque connues. Connaître les planteurs, coopératives ou groupes de planteurs est un point clé. Nous croisons les cartes de nos sources d’approvisionnement avec les zones à risque connues ou des zones moins risquées. Grâce à la traçabilité jusqu’à la ferme ou plantation, nous pouvons procéder à des vérifications en envoyant des équipes vérifier que nos fournisseurs respectent leurs engagements. Cela se produit dans le cadre d’audits auprès des fournisseurs, de vérifications par des équipes d’ONG (par exemple Earthworm) et d​‌’audits tiers liés à des systèmes de certification spécifiques (RSPO, Rainforest, etc.).

En 2016, pour l’huile de palme, nous avons lancé l’utilisation du système de surveillance par photo satellite Starling. Cette solution développée avec Airbus a été une révolution contre la déforestation. Starling nous a permis de vérifier en temps réel l’état des parcelles avec une précision inégalée (plantations et alentours, notamment les zones difficiles d’accès), d’identifier les signes avant-coureurs d’une déforestation, de mieux en connaître les causes (agriculture, mines, etc.), d’envoyer des équipes plus en amont, de montrer des preuves tangibles aux fournisseurs pour leur demander d’agir : une photo est plus parlante que tous les discours. Aujourd​‌’hui, tous nos approvisionnements sont sous la surveillance de cet outil : pulpe à papier, cacao, etc.

Le nombre d’intermédiaires complique-t-il la tâche ? Que vous apporte Earthworm Fondation sur la traçabilité des importations ?

Y. N. : Effectivement les chaînes d’approvisionnement de l’huile de palme, du café ou du cacao comprennent de nombreux acteurs : petits planteurs, exploitations plus grandes, grossistes, transformateurs, exportateurs… Et travailler en même temps avec une multitude de petits planteurs et de plus grosses coopératives rend la tâche complexe.

Nos partenaires locaux, comme les équipes d’Earthworm, nous aident à connaître notre chaîne d’approvisionnement et à la cartographier, à nouer la relation avec les communautés et les écosystèmes locaux (association, gouvernements…), à travailler et à impliquer tous les acteurs dans la résolution de situations complexes. Témoin le projet pour la forêt de Cavally, forêt classée de Côte d’Ivoire qui a souffert d’une déforestation rapide ces cinquante dernières années, seule une moitié étant restée intacte : nous avons impliqué les 46 villages et 755 communautés des alentours pour comprendre les causes du déboisement, et nous avons organisé, avec la Société ivoirienne de développement des forêts et une ONG locale des patrouilles de surveillance tous les dix à quinze.

Initiative de filière public-privé

Votre démarche « Café engagé de Nescafé», inaugurée en 2010, a-t-elle son équivalent pour le cacao ?

Y. N. : Oui, en parallèle nous avons travaillé sur d’autres matières premières comme l’huile de palme, le soja et le cacao. Dans notre programme cacao nous travaillons depuis plus de dix ans sur les trois piliers de la durabilité de la filière : de meilleures pratiques agricoles (formation des planteurs, distribution de meilleurs plants, actions contre la déforestation, implantation de l’agroforesterie dans nos plantations…) ; de meilleures conditions de vie des communautés (lutte contre le travail des enfants, accès aux installations de première nécessité, autonomie des femmes…) ; de meilleures qualité et traçabilité du cacao (limitation des intermédiaires, approvisionnements cent pour cent sous les critères de notre programme cacao en 2025, meilleure rémunération de la qualité…). Nous avons lancé en février dernier un plan d’accélération des revenus des planteurs et de lutte contre le travail des enfants qui s’appuie sur une expérience accumulée depuis plus de dix ans.

La France est le premier pays à s’être doté, en 2018, d’une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI). Nestlé y a-t-il contribué?

Y. N. : Oui, Nestlé France y a contribué par ses actions dans les organisations dont il est membre : syndicats professionnels, fédérations, ONG, associations, fondations, pour contribuer à la SNDI aux côtés des autorités. Au niveau du groupe, Nestlé fait partie de coalitions internationales contre la déforestation comme le Consumer Good Forum pour le soja ou l’initiative Cocoa & Forest Initiative pour le cacao.

Qu’apporte la plateforme d’engagements communs “Initiative française pour un cacao durable, signée en 2021, aux entreprises de la filière ?

Y. N. : L’IFCD est une collaboration entre les acteurs clés de la filière : ONG, industriels producteurs (dont Nestlé), distributeurs, État, recherche. Cette initiative va au-delà de la somme des activités de chacun des intervenants. Elle est la concrétisation d’une volonté d’agir ensemble de tous les acteurs de la filière française de cacao. Ce n’est que collectivement que nous pourrons répondre aux enjeux d’une filière plus durable.

Le Parlement européen a adopté le 11 octobre dernier un texte qui interdit tous les produits (dont le café, le cacao et l’huile de palme) venant de terres déboisées ou dégradées [2]. En quoi est-ce selon vous une avancée majeure ?

Y. N. : Parce que nous avons travaillé depuis dix ans sur le sujet, nous ne pouvons que nous réjouir de l’orientation de cette politique européenne (et notamment des avancées significatives lors de la présidence française de l’UE.) Les importations de matière premières en Europe seraient la deuxième source de déforestation dans le monde. Il est donc urgent d’agir. Cette réglementation permettra de s’emparer de la question de la déforestation et d’y répondre de manière collective entre tous les pays importateurs de l’Union. Elle envoie aussi un signal fort aux autres grandes zones d’importation des produits liés à la forêt.

1,5 million de formations dispensées

Comment définir la « dégradation » par rapport à la déforestation ? Que sont les zones qui remplacent les zones déboisées ?

Y. N. : La déforestation est la perte de la forêt naturelle. Elle peur résulter d’une conversion vers l’agriculture, d’une utilisation des surfaces pour une activité non forestière, ou de dégradations sévères et permanentes. La dégradation d’une forêt tient à des changements de l’écosystème, qui ont des effets négatifs sur la composition des espèces présentes, sa structure ou sa fonction. Ils réduisent la capacité de l’écosystème à fournir des produits, à préserver la biodiversité ou mettre à disposition les services écosystémiques.

La fragmentation progressive des forêts est un exemple de dégradation qui peut conduire à une déforestation si rien n’est fait pour l’endiguer. La dégradation d’autres zones ou écosystèmes sensibles qui ne sont pas à proprement dit des forêts a les mêmes conséquences néfastes. Par exemple les savanes comme le Cerrado au Brésil, qui sont des zones de production de soja ou d’élevage. C’est pour cela que le règlement européen contre la déforestation [3] inclut ces autres types d’écosystèmes. Chez Nestlé nous suivons de près la lutte contre leur dégradation.

Formez-vous vos fournisseurs et petits exploitants aux nouvelles pratiques de reforestation et d’agriculture régénératrice ?

Y. N. : Nous avons formé depuis une dizaine d’années pour le plan Nescafé plus de neuf cent mille caféiculteurs et pour le plan cacao plus de cinq cent mille cacaoculteurs. Au-delà des sessions de formation, il y a un accompagnement sur le terrain en termes de déploiement des bonnes pratiques (constitution de groupes d’agriculteurs leaders , mise en place de champs de démonstration…). Notre plan Nescafé 2030 en est l’illustration, avec la combinaison d’une autre culture (par exemple le poivre) avec nos cultures du café, la mise place de couverts de culture au sol, l’utilisation de solution de compostage pour utiliser davantage d’engrais verts, l’accélération de plantations d’arbres dans les plantations de café et autour.

[1] Pour en savoir davantage : https://www.nestle.com/sustainability/nature-environment/forest-positive.
[2] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0311_FR.html.
[3] Selon WWF France, en 2021, l’UE était le deuxième importateur de matières premières liées à la déforestation et à l’origine de 16 % de la déforestation associée au commerce international après la Chine (24 % ), devant l​‌’Inde (9 % ), les États-Unis (7 % ) et le Japon (5 % ).

Propos recueillis par Jean Watin-Augouard

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