Tribunes

Code de commerce

Loi Égalim 2, entre complexité et appropriation

13/12/2021

La loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Égalim 2, a fait l’objet d’un processus législatif très court, mais très intense, au regard de l’enjeu et du contexte. Par Daniel Diot, secrétaire général de l’Ilec.

La proposition de loi portée par le député Grégory Besson Moreau, dont la version initiale avait pour objectif de rééquilibrer les rapports entre industriels et distributeurs, a abouti en une version « 2.0 », inspirée du rapport de Serge Papin remis au ministre de l’Agriculture en décembre 2020, qui reprend les idées de la pluriannualité et de la transparence, chères à l’ancien dirigeant de Système U.

À quelques mois de l’élection présidentielle, le ministère de l’Agriculture a endossé ce texte, dont il a rédigé les articles initiaux, reprenant le triptyque « contrats pluriannuels en amont, transparence et sanctuarisation du coût de la matière première agricole en aval ».

Ce texte a toutefois été profondément modifié tout au long d’un processus législatif intense : en première lecture, députés et gouvernement se sont affrontés sur la question du champ d’application du dispositif. Au Sénat, les parlementaires ont apporté des contributions essentielles, tentant de rééquilibrer certaines dispositions dans un sens plus favorable aux industriels. La commission mixte paritaire a enfin donné lieu à des arbitrages nécessaires à une application effective aux négociations 2022.

Dans un délai record, le texte a été promulgué le 18 octobre et publié au Journal officiel le lendemain.

Nonobstant certaines dispositions permettant le cas échéant d’échapper au dispositif pour les négociations à venir (sous la double condition cumulative d’un envoi des conditions générales de vente avant le 1er novembre et d’une signature des contrats avant le 1er janvier), la loi est donc pleinement applicable aux accords qui vont régir l’exercice 2022.

Il faut admettre qu’elle est d’une complexité technique certaine, et que son adoption en pleine élaboration des conditions générales de vente, à quelques jours de la date butoir d’envoi de ces documents, ne facilite pas son appropriation par les opérateurs, même s‘ils ont pu dès l’été anticiper ce qu’il adviendrait à l’automne.

Non-négociabilité partielle

La transposition des principes contrats pluriannuels, de transparence et de sanctuarisation en mécanismes juridiques n’a pas été facile, car le texte a dû en permanence naviguer entre les écueils de l’anticonstitutionnalité et de la conformité aux principes du droit de la concurrence, et il peut avoir des effets de bord non négligeables.

Le postulat de départ est simple dans son expression : pour permettre d’améliorer significativement la rémunération de l’amont agricole, dans un contexte de guerre des prix entre enseignes, il convient de donner de la traçabilité au coût de la matière première agricole qui entre dans la composition des produits alimentaires de grande consommation. Pour ce faire, les contrats entre producteurs et industriels ou distributeurs doivent être pluriannuels et comporter des clauses obligatoires garantissant une visibilité et une sécurisation du prix.

Dans un second temps, ce coût de la matière première agricole fait l’objet d’une mise en transparence dans les conditions générales de vente, avant d’être « sanctuarisé » dans les contrats avec les distributeurs, c’est-à-dire non négociable.

La véracité des informations relatives à ce coût est garantie par la possibilité de recourir à un tiers indépendant, selon trois options laissées au libre choix de l’industriel, qui va certifier que les informations communiquées par les industriels sont conformes à la réalité.

C’est par ce double mécanisme, couplant transparence des coûts afférents aux matières premières agricoles qui doivent être communiquée tout au long de la chaîne des contrats, des producteurs aux distributeurs en passant par les transformateurs et industriels, et non-négociabilité de ce coût, que le législateur espère assurer une plus juste rémunération au secteur agricole.

Il est indéniable que le secteur agricole souffre, tout le monde en convient. À ce titre, l’Ilec s’est toujours montré favorable à cet objectif vertueux. Mais le fait de limiter la non-négociabilité à une partie du coût sans protéger l’autre peut conduite à un effet contraire à celui recherché. L’Ilec a soulevé cette incohérence fondamentale dès le début du processus législatif, et n’a eu de cesse de proposer des mécanismes protecteurs de l’intégralité du tarif.

Réserves de fond et de méthode

L’Ilec, dès le début du processus législatif, a fait part de ses réserves, au regard tant de l’extrême complexité et des conséquences auxquelles elles risquent d’exposer les opérateurs qu’à l’absence d’étude d’impact et de concertations préalable. Surtout, il n’a eu de cesse de convaincre le législateur que le dispositif ne permetait de couvrir qu’une partie du prix des produits, ouvrant la porte à la péréquation, donc à une négociabilité accrue de tous les éléments constitutifs du prix ne relevant pas de la matière agricole.

C’est à ce titre qu’ont été portés et adoptés des amendements instituant des mécanismes de protection tarifaire, en l’occurrence le principe de l’interdiction de discrimination et l’individualisation de la valeur des contreparties qui viennent en dégradation du prix de vente des produits aux enseignes.

L’Ilec a souligné dès la première présentation du texte que les dispositions de transparence et de sanctuarisation du prix des matières premières agricoles non seulement étaient porteuses d’effets préoccupants d’un point de vue concurrentiel, mais qu’elles ne permettraient pas d’atteindre l’objectif du législateur, car il est impossible de protéger une partie du tarif ou de son évolution de manière isolée : c’est l’intégralité du tarif qui doit être protégée, pour préserver ses composantes.

Non-discrimination, changement de paradigme

Certains sont allés jusqu’à prôner des mesures conduisant à la non-négociabilité du tarif. L’Ilec a observé que cette approche contreviendrait aux principes généraux du droit, ayant valeur constitutionnelle, en l’occurrence les principes de liberté d’entreprendre, de liberté des prix et des contrats.

En lieu et place, l’Ilec a proposé la réintroduction en droit français des principes qui régissaient les relations commerciales avant la LME. L’objectif de celle-ci était de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, en favorisant la négociabilité du prix au bénéfice des enseignes de la grande distribution. Mais cette « libéralisation » s’est traduite, au gré d’un rapport des forces très largement asymétrique au bénéfice des distributeurs, par une négociation plus dure, et a favorisé, si elle ne constitue pas en elle-même la seule cause, l’émergence du phénomène de guerre des prix en 2013.

C’est donc en partant de ce constat que l’Ilec a défendu la réintroduction en droit français du principe d’interdiction de la discrimination et de son corollaire, la justification individualisée des contreparties qui dégradent le tarif pour parvenir au prix convenu.

C’est ainsi que la loi Égalim 2 a repris la formulation qui existait dans le Code de commerce avant la LME du 4 août 2008, en réintroduisant « le fait, s’agissant des produits alimentaires satisfaisant aux conditions prévues au I de l’article L. 441-1-1, de pratiquer, à l’égard de l’autre partie, ou d’obtenir d’elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles prévues par la convention mentionnée à l’article L. 443-5 en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ».

Le principe est simple : à partir du tarif et des conditions générales de vente, communes à l’ensemble des distributeurs, le fournisseur ne peut consentir à une dérogation au prix et donc discriminer qu’en échange d’une contrepartie proportionnelle et justifiée constituant une condition particulière de vente.

Cette disposition est un véritable changement de paradigme, en ce qu’elle oblige les parties à renverser le schéma de la négociation, afin de partir d’un tarif commun et non d’un prix net « reconstruit à l’envers » a posteriori par un catalogue de contreparties plus ou moins fictives.

En corollaire, l’obligation d’indiquer, dans la convention, le prix unitaire des contreparties doit permettre de faciliter le contrôle de la proportion de celles-ci au regard de la baisse du tarif. Le distributeur ne devrait désormais plus être en mesure de proposer des contreparties floues ou trop peu détaillées, et dont la rémunération serait globalisée.

Cette mesure permettra d’éradiquer les mauvaises pratiques consistant notamment à globaliser les rémunérations de services sans qu’il soit possible de mesurer la valeur intrinsèque de chacun d’entre eux.

Normaliser la question des pénalités

L’Ilec se félicite aussi de l’introduction de la question des pénalités logistiques dans les débats parlementaires. Le régime applicable en matière de pénalités logistiques fait l’objet d’une nouvelle section 4 du titre IV du Code de commerce, et de deux nouveaux articles. L’article L. 441-17 vise les pénalités « infligées » au fournisseur, alors que l’article L. 441-18 vise expressément les pénalités que le fournisseur peut, réciproquement, infliger au distributeur.

S’agissant du taux de service, si le législateur n’a pas souhaité s’engager sur la voie d’un taux nominalement fixé par la loi, il prévoit toutefois qu’une marge d’erreur suffisante doit être respectée, eu égard au volume de livraison prévu dans le contrat (comprendre par rapport à un taux de service à 100 %).

Plus important, la loi tranche le débat quant à la nature juridique des pénalités : entre clauses pénales sanctionnant le manquement à une obligation contractuelle et réparations d’un préjudice, le législateur a, sans équivoque, penché en faveur de la seconde thèse : les pénalités doivent être proportionnées au préjudice subi, lequel ne peut résulter que de ruptures de stocks. Cette dernière disposition doit permettre de lutter de manière efficace contre les pénalités abusives et non justifiées, et contribuer à rétablir une situation normalisée.

Le résultat est inégal. Dans sa traduction juridique, le texte est d’une grande complexité. Le législateur a cru bien faire, mais, en faisant l’impasse sur une concertation préalable auprès de ceux qui pratiquent au quotidien la négociation commerciale et appréhendent toutes les difficultés d’une modification des normes, il aboutit à une absence de prise en compte des conséquences opérationnelles. Il faut dire que la multiplicité des interactions autour du texte n’a pas aidé, et les délais de mise en œuvre non plus, le texte final étant adopté mi-octobre alors que les conditions générales de vente devaient être envoyées par les fournisseurs à leurs clients avant le 1er décembre.

Dispositif complexe mais opportun, et méritant d’être étendu

Mais l’esprit et l’objectif sont clairs. On peut regretter la complexité, mais pour peu qu’on ait envie de s’approprier les mécanismes et de les utiliser à bon escient, c’est-à-dire en ayant pour but de restaurer un équilibre entre tous les maillons de la chaîne, il est possible de s’approprier ces mécanismes dans une approche constructive, pragmatique et surtout collaborative. Les obligations de transparence et de sanctuarisation donnent lieu à beaucoup de difficultés côté industriels, la non-discrimination et l’individualisation des contreparties remet en question la structure de la négociation côté enseignes. À chacun de faire l’effort qu’il convient pour aboutir à des accords équilibrés, construits et négociés en vue de cet objectif. À l’Ilec, nous avons une responsabilité collective, car les négociations de nos entreprises concernent près d’un agriculteur sur deux. La transparence est la condition indispensable de la restauration d’un minimum de confiance entre les acteurs.

La sanctuarisation d’une partie du tarif de l’industriel, par le double mécanisme de la transparence et de la non-négociabilité d’une partie du prix, est fragile et incertaine : seuls les mécanismes de protection tarifaire que l’Ilec porte depuis des années peuvent corriger les effets néfastes que la LME portait en elle. Il convient de s’approprier ces dispositions, qui doivent constituer une opportunité pour les industries alimentaires, leur succès conditionnant l’extension ultérieure à l’ensemble des produits de grande consommation.

Car il y a lieu de regretter qu’une fois de plus les produits de grande consommation relevant du non-alimentaire sont, à l’exception notable des règles nouvelles en matière de pénalités logistiques, les grands sacrifiés du texte. L’Ilec n’aura de cesse d’obtenir l’extension des mesures de protection tarifaire et des règles expérimentales en matière de promotion à ces catégories de produits, essentiels aux consommateurs.

Daniel Diot

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