Quand Lidl compare sans objectivité
25/10/2020
En 2012, la société Lidl décidait de réorienter profondément sa stratégie en France afin d’abandonner son positionnement traditionnel de hard-discounter pour se rapprocher des enseignes classiques. Lidl annonçait ainsi une rénovation profonde de son parc de magasins (1 500 points de vente) avec un agrandissement de leur surface moyenne, une restructuration de son offre en incluant un nombre réduit de marques nationales, ainsi qu’une montée en gamme de ses produits à marque propre. Elle accompagnait cette évolution stratégique d’une explosion de ses investissements publicitaires puisque dès 2015 Lidl allait devenir l’un des plus gros investisseurs médias, toutes catégories confondues.
En avril 2016, elle lançait une campagne multimédia (TV, radio, affichage, presse) dans laquelle elle suggérait que ses produits étaient identiques à ceux de grandes marques, mais moins chers. Vingt-cinq grandes marques alimentaires, appartenant en majorité à des adhérents de Prodimarques (et de l’Ilec) faisaient ainsi l’objet de ces comparaisons, toutes construites sur le même principe, comme illustré dans le visuel ci-après.
Considérant que la société Lidl cherchait clairement à s’approprier la notoriété et l’image des grandes marques pour ses propres produits et que ces publicités étaient à la fois trompeuses pour le consommateur et dénigrantes pour les grandes marques, Prodimarques a assigné Lidl en juin 2016 pour non-respect des règles relatives à la publicité comparative [1]. Dans un arrêt rendu le 31 janvier 2020, la Cour d’appel de Paris [2] a rappelé et précisé les règles régissant la publicité comparative. Si le tribunal de commerce de Paris avait dans un premier temps rejeté les demandes de Prodimarques, la décision de première instance a été infirmée par la Cour d’appel, qui a déclaré la compagne de Lidl illicite pour défaut d’objectivité.
L’article L. 122-1 du Code de la consommation dispose que la publicité comparative est licite lorsque :
- Elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
- Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
- Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
Il ressort des textes et de la jurisprudence qu’une comparaison est objective lorsqu’elle est fondée sur des éléments mesurables ou quantifiables, sans référence à des appréciations subjective.
Or la campagne de publicité litigieuse s’appuyait sur des films TV et radio mettant en scène des acteurs effectuant des tests fictifs sur des produits Lidl ainsi que sur des produits de grandes marques de fabricants. À l’issue d’une dégustation simulée, les acteurs concluaient seulement par un « J’aime ! », tant pour la marque du distributeur que pour la grande marque, et la publicité se terminait par le slogan « Deux J’aime, mais pas au même prix ! ».
Pour se défendre,Lidl a prétendu que dans sa compagne publicitaire seul le prix des produits faisait l’objet d’une comparaison – et non pas leur goût –, les deux « J’aime » utilisés étant de simples constats.
Toutefois et après de longs débats sur le caractère objectif de la comparaison des produits dans cette campagne, l’argumentation de Lidl n’a pas convaincu la Cour d’appel ,qui a suivi celle de Prodimarques et a considéré que : « En utilisant l’interjection « J’aime ! » après dégustation de chacun des produits en comparaison, qui ne constitue pas un simple constat mais une appréciation du plaisir culinaire que procure la dégustation de ces produits à l’acteur figurant dans le spot publicitaire, lequel se termine par l’avis suivant après dégustation de chacun des produits (en comparaison) présentés : “Deux J’aime mais pas au même prix”, la société Lidl introduit comme critère de comparaison des produits non seulement le prix mais également le goût, lequel est par nature personnel et variable selon les habitudes alimentaires et la sensibilité de chacun. La société intimée a utilisé un élément subjectif invérifiable par le consommateur, qui exclut toute comparaison objective au sens de l’article L. 122-1 3 du Code de la consommation, en sorte que la publicité comparative objet des spots litigieux est illicite. »
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris est particulièrement intéressant car il rappelle les règles encadrant la publicité comparative, notamment le principe en vertu duquel une publicité comparative, pour être licite, doit comparer objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services. De plus, l’arrêt précise que l’interjection « J’aime » concernant des produits alimentaires renvoie au goût des produits. Or le goût étant par nature subjectif, il ne peut être utilisé comme élément de comparaison dans le cade d’une publicité comparative. Ces précisions jurisprudentielles viennent enrichir les règles régissant la publicité comparative et permettent une meilleure compréhension de celles-ci.
Cette décision rappelle à Lidl les limites à ne pas dépasser en matière de publicité comparative, au risque de tomber dans l’illégalité. C’est un sujet important auquel l’Ilec est particulièrement attaché dans sa mission de défense des grandes marques, et qui justifiait d’ailleurs l’action de Prodimarques et son seul souhait d’obtenir une décision de principe – d’où sa demande indemnitaire limitée à un euro.