Améliorer la mesure de l’e-retail media
10/04/2024
En 2023, l’e-retail media a représenté à lui seul 1 111 M€ et compte pour 12 % des investissements digitaux en France [1]. Cependant, son adoption reste précautionneuse, et en France ce marché ne représente qu’une fraction de ce qu’il est aux États-Unis ou en Chine, toutes choses égales par ailleurs. Le manque de bonnes pratiques partagées pour la mesure de la performance est le frein le plus souvent évoqué pour expliquer que ce marché n’a pas atteint son dynamisme potentiel.
Les marques de l’Ilec, en partenariat avec Publicis Commerce, ont souhaité travailler à une proposition d’indicateurs de mesure homogènes permettant de mesurer et de comparer la performance des campagne e-retail media, et donc de mieux justifier les investissements. En quoi consistent ils ? Quels sont les avantages attendus par les marques et quel est l’intérêt de les adopter pour les régies publicitaires des enseignes ?
Champ et perspective de l’e-retail media
L’e-retail media est « l’ensemble des communications commerciales et marketing financées par un industriel en relation avec ses distributeurs en digital » [2]. Ces communications prennent des formes diverses.
Dans leur plus simple expression elles consistent en l’achat de mots clés dans les moteurs de recherche, ou de bannières publicitaires sur un site d’e-commerce. De telles campagnes sont dites “on site”.
Mais le recours à l’e-retail media n’est pas cantonné à ces types d’annonces. Des solutions plus complexes, dites d’extension d’audience, se développent. Ainsi une marque, moyennant investissement, peut se servir des données transactionnelles des cartes de fidélité des enseignes pour adresser des communications ciblées à des consommateurs, sur des supports publicitaires tiers (par exemple des espaces publicitaires digitaux sur des sites d’info ou des réseaux sociaux).
La progressive disparition des cookies tiers (moyen de ciblage utilisé jusqu’à présent par les annonceurs), l’abandon par les enseignes du prospectus papier au profit de communications digitales et, en général, l’adoption par les Français d’un mode de consommation omnicanal, portent à croire que les solutions “off-site” vont gagner plus d’importance dans les dispositifs des enseignes, et donc des marques.
Le constat d’une carence
La grande variété et l’adaptabilité des solutions publicitaires proposées représentent un atout commercial important pour l’e-retail media. Cependant, le corollaire d’une telle abondance est la disparité des données de pilotage et de suivi des campagnes, d’une régie à l’autre. Il est donc devenu difficile pour les annonceurs de comparer les performances des campagnes d’égale à égale, et d’attribuer les budgets en conséquence ; c’est pour eux un frein aux investissements.
C’est pour répondre à cette problématique que l’Ilec a pris l’initiative d’une réflexion collective sur les indicateurs de mesure. Ce faisant, il est dans un rôle qui lui est habituel, comme le rappelle Richard Panquiault, président de l’Ilec : « Depuis cinquante ans l’Ilec œuvre à la promotion de bonnes pratiques utiles à la fluidité des marchés de grande consommation. »
Pour ce faire, il a réuni les experts des media et du digital de certains de ses adhérents, représentant une vingtaine de catégories de produits de l’alimentaire ou du DPH, avec pour partenaire l’agence Publicis Commerce [3].
Dans l’élaboration d’une proposition d’harmonisation des indicateurs, il a eu soin de s’assurer qu’ils seraient compatibles avec l’ensemble des dispositifs proposés par tous les intervenants. Cette nécessité a porté le groupe de travail constitué à l’Ilec avec ses adhérents et Publicis Commerce de s’en tenir à un nombre limité d’indicateurs et au bon sens, pour trouver des solutions accessibles à tous les acteurs du marché.
Cinq indicateurs à consolider
ROAS
La majorité des régies proposent aujourd’hui le ROAS (Return on Ad Spend) comme indicateur du retour sur investissement d’une dépense e-retail media. Le ROAS est calculé en rapportant le CA généré par les achats de consommateurs exposés à une campagne au budget total de cette campagne.
Malgré certaines limites (il ne fait pas la part des ventes incrémentales spécifiquement dues à la campagne), le ROAS présente l’avantage d’être un indicateur de synthèse facile à comprendre et applicable à toute sorte de campagne. Qu’il soit déjà très répandu en fait le premier candidat à tout effort d’harmonisation. Car encore faudrait-il qu’il soit calculé de la même manière par toutes les régies, ce qui n’est malheureusement pas le cas, qu’il s’agisse du périmètre du CA, de la fenêtre d’attribution ou du budget porté au dénominateur. C’est pourquoi l’Ilec et Publicis proposent :
- qu’en matière de CA généré par la campagne ne soit pris en compte que le CA sur les EAN activés, sans effet de halo (par opposition au CA total de la marque, par exemple), ou du moins de façon que la prise en compte d’un halo soit paramétrable ;
- que la période pendant laquelle une vente est attribuée à la campagne (dans le jargon fenêtre d’attribution) soit la même pour toutes les régies, qu’elle soit cohérente avec les cycles d’achat de produits du quotidien (typiquement, une semaine après que le consommateur a cliqué sur la pub ou un jour après qu’il l’a visionnée, que ce soit en display ou en sponsored products), et dans la mesure du possible que cette fenêtre d’attribution soit paramétrable ;
- que dans le calcul du budget porté au dénominateur du ratio l’ensemble des frais associés à la campagne soit pris en compte, incluant les frais associés aux régies.
En plus du ROAS, les marques de l’Ilec ont retenu quatre indicateurs ou KPI complémentaires, dont elles tiennent pour nécessaire d’harmoniser la mesure :
Nombre d’impressions
Cet indicateur mesure les expositions à la campagne. Le nombre d’impressions est important, car il détermine le coût de la campagne. Une exposition ne devrait être considérée comme délivrée que lorsque le consommateur voit véritablement le format publicisé, dans le respect des normes établies en marketing digital [4].
Taux d’ajouts au panier
Part des consommateurs exposés à une campagne qui ont ajouté un produit dans leur panier d’achat.
Évolution du CA
Évolution du chiffre d’affaires entre la période d’activation et une période comparable d’une durée identique. La méthode recommandée consiste en la comparaison de la période d’activation avec la même période l’année précédente, afin de neutraliser autant que se peut le facteur saisonnier affectant les ventes d’un produit.
Taux de recrutement
Proportion de consommateurs exposés à la campagne qu’on peut considérer comme recrutés par la marque. Pour définir le taux de recrutement, il est souhaitable de se fonder sur un historique d’achat des six derniers mois, mais également des douze derniers mois, notamment pour les produits saisonniers.
Un indicateur nouveau à adopter
L’harmonisation des cinq indicateurs ci-dessus évoqués représenterait un progrès important par rapport à la situation actuelle. Cependant, aucun d’eux ne mesure véritablement la contribution spécifique d’une campagne aux ventes d’une marque. La possibilité de mesurer d’une manière statistiquement fiable les ventes incrémentales d’une activation publi-promo a longtemps été le Graal des responsables du marketing, loin d’être satisfaits par les modèles complexes et onéreux de « marketing mix » que leur proposent à cette fin les sociétés d’études.
C’est justement sous cet aspect que les campagnes e-retail media pourraient particulièrement s’illustrer.
L’Ilec et Publicis recommandent donc un sixième indicateur harmonisé, l’I-ROAS (« I » pour incrémental), calculé sur les ventes incrémentales, qui constituerait la mesure ultime de l’efficacité d’une campagne. Dans la plupart des cas, même si la méthode reste à consolider, on pourrait en effet imaginer de déterminer les ventes incrémentales attribuables à une campagne, par la comparaison entre un groupe cible de personnes exposées au message publicitaire et un groupe témoin de non-exposées, statistiquement représentatifs. Une telle garantie serait un gage de qualité et un atout majeur pour les régies qui ont l’ambition de se développer sur un marché publicitaire très concurrentiel.
L’e-retail media connaît aujourd’hui la même effervescence qui a propulsé d’autres supports de communication, jusqu’à s’imposer dans la perpétuelle réinvention du marché publicitaire. Cependant, après une phase d’explosion créative, l’adoption massive d’un nouveau média passe toujours par une forme de rationalisation et d’harmonisation, sans laquelle la croissance s’estompe et le support se marginalise. La croissance de l’e-retail media dépendra de la capacité de ses acteurs à trouver l’équilibre entre la créativité des supports et la rigueur qu’attendent les annonceurs. Des indicateurs de mesure harmonisés, ouverts et de libre adoption, seront de nature à favoriser cet équilibre.