Commission d’enquête
Alliance et centrales à la question
05/07/2019
La Commission d’enquête « sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs » était cette semaine à l’écoute des représentants des enseignes ou alliances. Elle a d’abord auditionné Envergure le 1er juillet en les personnes de Stéphane Vaudoit, son président, et de Bruno Cazorla, son directeur général.
« Qu’est-ce que vous négociez, depuis octobre 2018 qui ne se négociait pas auparavant ? » a insisté le président Thierry Benoit, désireux de savoir si « la phase de négociation Horizon intervient avant, pendant ou après la phase où Carrefour et SU achètent ». La réponse de Stéphane Vaudoit est ferme : « Il n’y a pas de négociations parallèles avec Système U et Carrefour. » Et il ne s’agit, ajoute Bruno Cazorla, que de « peser face aux 70 industriels de produits incontournables ».
Défense des conditions de la négo
Le risque d’échanges d’informations anticoncurrentielles ne serait pas fondé en raison de strictes dispositions prises en interne dans l’alliance, notamment un système logiciel propre et des domaines d’adresses empêchant qu’un courrier destiné à SU puisse s’égarer malencontreusement chez Carrefour. En outre, Envergure n’emploie pas de négociateurs venus d’enseignes tierces, mais seulement, assure Bruno Cazorla, de SU et Carrefour. Et Stéphane Vaudoit de préciser : « Il y a peu de mouvements de personnel d’un distributeur à un autre. »
Leur mission ? « Les acheteurs ont des objectifs de baisse de prix ou de hausse à ne pas dépasser », la deuxième partie de leur rémunération variable répondant à « des critères qualitatifs » dont « le respect du cadre juridique ». Sur ce sujet le rapporteur Grégory Besson-Moreau rappelle l’existence de la charte FCD et demande à être documenté concrètement sur les salaires des acheteurs d’Envergure.
A une question de la députée Cendra Motin sur la non-prise en compte des investissements des industriels pour aller dans le sens des attentes des consommateurs, de l’innovation et du « manger mieux », le président de l’alliance, sans le faire frontalement, dément le propos que la commission a cru entendre des industriels : « Nous avons négocié des hausses avec près de 40 % de nos fournisseurs. » Il serait donc « surpris que la proportion ne soit pas la même » parmi « les trente » fournisseurs d’Envergure que la commission a auditionnés.
Mauvaises pratiques réputées d’un autre âge
Après un peu moins d’une heure, la séance publique connaît, sur décision du président Benoît, une interruption pour huis clos de quatre minutes destiné à entendre les représentants d’Envergure sur le CA de l’alliance (dont le montant a été communiqué auparavant de façon confidentielle à la Commission) : en quoi il se rapporte à son activité et au nombre de ses employés, de quoi il se compose, comment en deux mois et demi une centrale de négociation l’a-t-elle obtenu…
La séance va se poursuivre avec une question du rapporteur sur l’éventualité que des déréférencements aient été mis en œuvre dans le courant de la négociation, jusqu’à obtention du prix de cession désiré. En réponse, Stéphane Vaudoit évoque ce qui « a pu être une pratique dénoncée par l’Ilec il y a quelques années par exemple », et d’ajouter : « Nous concernant, centrale Envergure, il n’y a eu cette année de tels dispositifs ». En revanche « il peut y avoir des évolutions de gamme » et « ce n’est pas parce qu’on est en période de négociation qu’il ne se passe rien et qu’il n’y a pas de produits référencés et d’autres arrêtés ».
Interrogé de nouveau par Cendra Motin sur d’éventuelles consignes de déréférencement provenant de CWT, il affirme, non sans rappeler qu’il parle sous serment : « Nous n’avons eu aucune relation directe avec CWT. »
Renégocier, pas le genre de la maison
Autre affirmation tout aussi ferme, celle de Bruno Cazorla en réponse à une question du rapporteur : « Envergure ne renégocie pas », sauf en cas de demande de hausse tarifaire comme cela a été le cas ce printemps pour la salaison. (Sur ce dernier sujet, et le reproche à peine voilé du rapporteur sur le manque de réactivité d’Envergure pour répondre à un courrier de la FICT envoyé aux distributeurs en avril, Stéphane Vaudoit se montrera plus à l’aise qu’en d’autres moments de l’audition, pour rappeler que l’alliance ne négocie pas avec tous les adhérents d’une fédération comme la FICT mais seulement avec de grands transformateurs du porc, ce qu’elle a fait début juin autour d’un nouveau tarif.)
Les pratiques illicites, « déréférencement abusif, harcèlement, demande de compensation de marge » sont loin des « valeurs » dont se réclame Envergure et auxquelles son président fera plusieurs fois référence, ajoutant à l’occasion : « Nous ne nous reconnaissons pas dans ce qu’ont dénoncé l’Ilec et l’Ania. »
La dimension internationale de U
L’un des partenaires d’Envergure, Système U, était auditionné le lendemain 2 juillet par la commission, en la personne de Dominique Schelcher, président du groupe U Enseigne
Dominique Schelcher manifestera un peu d’embarras lorsque interrogé par le rapporteur sur la part de l’international dans le CA de Système U (évaluée à 200 millions). Il demande alors le huis clos pour détailler la nature des services proposés à l’échelon international, tout en affirmant que « les fournisseurs intéressés par l’international y trouvent leur compte » et que « certains même en demandent » en coordination avec Carrefour. Après quoi il s’entendra demander par Grégory Besson-Moreau le bilan de Patinvest – qui devait lui être donné en huis clos.
Sur les écarts de prix en Europe, Dominique Schelcher cite, à l’instar la DG Concurrence auditionnée le 17 juin mais moins hors de propos qu’elle, les indices Eurostat de parité de pouvoir d’achat entre la France et l’Allemagne (qui ne comparent pas des produits mais des catégories), et l’illustre par le cas des produits d’hygiène de son propre magasin, frontalier de l’Allemagne où ses clients préféreraient trop souvent aller en acheter de moins chers…
Le 3 juillet la commission d’enquête recevait les représentants d’Horizon, Abel Mercier, directeur délégué aux achats, et Franck Derniame, directeur juridique.
Engagement sur les innovations
Dans son propos liminaire, le premier a mis en avant le fait que lors du bilan des négociations récemment fait avec les industriels de « nouveaux engagements » avaient été pris par la centrale, notamment celui de « décoreller » les innovations et la négociation du prix : « Fin octobre », a-t-il promis, les innovations sélectionnées par les enseignes représentées par Horizon seront visibles pour les industriels. Mais répondant plus loin à une question du président Benoît sur « la liste des services proposés par Horizon », il a mentionné « de façon générique, pour des questions de confidentialité », avec « l’assortiment », « des services sur la mise en avant des produits dans les prospectus » et « les conditionnels de chiffre d’affaire ou de volume » qu’il « peut y avoir la diffusion et l’exécution des innovations ».
Horizon étranger à Horizon
Répondant au président sur les risques d’échanges d’informations concurrentielles, il a assuré qu’en tant que Casino il n’avait jamais eu « aucune information sur les conditions d’achat Intermarché » à l’époque d’Inca-A, et que « les collaborateurs Casino n’ont pas de visibilité des conditions d’achat de l’associé » dans Horizon. Il n’a pas davantage, a-t-il assuré au rapporteur, de relations avec Horizon international, dont il ne connaît « pas le statut, pas les objectifs et pas les équipes » : « Cela a été conçu comme cela à l’origine » : « Ce sont les maisons mères qui échangent avec Horizon France et Horizon international mais il n’y a pas d’échange entre ces deux structures ».
À une question du député Arnaud Viala sur la rémunération des négociateurs, Abel Mercier a évoqué un « indicateur important du variable des acheteurs, 60% sur les indicateurs quantitatifs dont l’évolution de prix, et 40% sur les indicateurs qualitatifs ».
« Rester dans le match »
Il a assuré qu’il n’y a pas « deux niveaux de discussion » pour aucun des 113 industriels concernés par Horizon : « Soit l’industriel est dans la liste Horizon et ne négocie qu’avec Horizon ses prix d’achat, soit il n’y est pas et ne négocie qu’avec la centrale d’achat des maisons mères. » Pour autant, avait-il répondu plus haut au président, « Horizon-Achats » « est une société qui n’achète pas les produits, mais négocie sur la base de leviers de stratégie fournis par les enseignes ».
Sur l’éventualité d’un « risque de déséquilibre » lié à un « regroupement à l’achat si on passe de 10 à 20 % » évoquée par le président, le directeur délégué d’Horizon-Achats, a usé de précaution oratoire : « On négocie avec des grands groupes. Je ne vais pas vous faire l’article du petit distributeur face aux très gros industriels, mais dans certains cas et sur certains marchés il y a très peu d’acteurs aussi côté industriels, donc c’est aussi un moyen pour les enseignes que l’on représente d’avoir un minimum de poids pour négocier et rester dans le match. »
Ruissellement à l’horizon des fournisseurs
C’est en réponse à une autre question du président sur la volonté d’Horizon de s’engager dans une politique de filière que le directeur général de la centrale a touché au cœur de la problématique EGAlim et de son enjeu pour les négociations 2020 : « Pour être honnête, on a parfois piloté à vue, parce que sur certains marchés on a passé des hausses de tarifs en faisant confiance aux industriels sur le fait que ça allait être répercuté aux agriculteurs. On a peu de preuves tangibles ou de garanties, malgré les bonnes intentions, que cela est bien répercuté sur le revenu des agriculteurs français. Ça, c’est un sujet de travail pour la suite… »
Le rapporteur s’y prendra ensuite à plusieurs reprises pour obtenir de ses interlocuteurs une réponse qui le satisfasse, à propos des déréférencements en cours de négociation : « J’aimerais comprendre. Il y en a un qui me dit qu’il y a des pressions, l’autre non. Il y en a un qui ment…
– Avec certains industriels, on met plus de temps à se mettre d’accord. Parfois, pour un industriel qui ne se met pas en situation de négociation on peut être amené à remonter le point aux maisons mères de façon indépendante. (…) Quand un industriel est trop loin de notre souhait en position de négociation, nous échangeons avec nos maisons mères, qui peuvent décider de développer l’assortiment d’un autre qui avance sur les négociations, et nous faisons le retour à l’industriel. (…) C’est plutôt Horizon, en période de négociations, qui peut faire l’aller-retour des différentes positions. La maison mère peut également appeler directement l’industriel ou vice-versa, même si le cas classique est celui d’un aller-retour par Horizon. (…) La pratique de suspension de commandes pendant les négociations ne fait pas partie des activités d’Horizon. On peut avoir à la fin d’une négociation un désaccord économique et signer un accord commercial a minima avec un industriel. »
Coup de coude à l’AdlC
En fin d’audition, le président Benoit aura un mot dont ses interlocuteurs du jour n’étaient peut-être pas les premiers destinataires : « Je vois comme une anomalie juridique qu’une centrale de négociation ou de service puisse fonctionner en France sans avoir un avis définitif d’une autorité qui s’appelle l’Autorité de la concurrence ». Le directeur juridique d’Horizon Franck Derniame venait de rappeler que « la centrale fonctionne conformément aux règles qui sont définies en la matière c’est-à-dire une obligation de notification qui a été faite en amont », et d’indiquer que « cette phase d’instruction se termine dans les prochains jours ». Peut-être les instructeurs suivent-ils attentivement les travaux de la commission d’enquête.
F.E.