Kronenbourg, brasseur régénératif
20/12/2022
Kronenbourg SAS et Soufflet [1] Agriculture & Malteries Soufflet viennent de réunir leurs expertises pour créer la première filière d’orge responsable tracée en France. Que faut-il comprendre ici par « responsable » ?
Agnès d’Anthonay : Kronenbourg SAS (groupe Carlsberg), brasseur historique français, a un ancrage territorial très fort en Alsace, depuis sa création en 1664 dans un quartier de Strasbourg, Cronenbourg [2]. Soufflet est le fournisseur historique aussi bien de Kronenbourg que de Carlsberg depuis trente ans, en particulier pour l’orge et le blé. Kronenbourg s’est engagé dans cette initiative, car l’agriculture a une place centrale pour un développement durable de la filière brassicole. Les pratiques agricoles sont fondamentales au regard des besoins de la filière sur le plan des matières premières dont elle aura besoin dans les prochaines années. Cela concerne bien sûr aussi les autres ingrédients tels que le houblon et l’eau. Autre enjeu : nous sommes capables de mesurer l’impact des modèles agricoles sur nos émissions de gaz à effet de serre. Or avec avec 17 % l’agriculture est pour Kronenbourg le deuxième poste de ses émissions [3].
Quand cette filière a-t-elle été pensée et quelles ont été les étapes de sa construction ?
A. d’A. : En 2019, nous avons lancé avec la Fondation Kronenbourg une première réflexion sur le sujet des pratiques agricoles, destinée à créer des connaissances sur la culture du houblon en agroécologie. Forts de ce projet pilote – toujours en cours –, nous avons exprimé lors de nos premiers échanges avec Soufflet notre souhait de construire pour l’orge contenu dans notre produit phare 1664, un modèle fondé sur des pratiques agroécologiques au bénéfice du sol au cœur du modèle, pour réduire les émissions de carbone, augmenter la biodiversité et préserver l’eau en quantité et en qualité. Soufflet, la plus grande coopérative française, a beaucoup investi dans la transition des pratiques agricoles pour promouvoir des modèles agroécologiques. Soufflet a en particulier travaillé sur la filière blé pour d’autres industriels.
Premières bouteilles orge tracée
Quelles sont les bonnes pratiques agroécologiques et les obligations établies par la charte ?
A. d’A. : Au nombre des bonnes pratiques : le couvert permanent des sols, la rotation des cultures, la fertilisation raisonnée avec un minimum d’intrants de synthèse, la mise en place de haies, arbres, nichoirs et, demain, le non-labour du sol. Toute la difficulté est d’être dans une dynamique de transition des pratiques agricoles tout en gardant une qualité constante de notre orge et en assurant les rendements.
Nous avons construit un plan de progrès en plantant en 2021 pour récolter en 2022. On démarre avec 20 % d’orge issue de ces pratiques, pour atteindre 100 % en 2026, 45 agriculteurs actuellement, 250 en 2026, de 900 à 5 000 hectares, de 5 000 à 25 000 tonnes.
Nous avons créé une filière d’orge tracée [4]. Nous voulons garantir la transparence sur l’origine (Grand Est) et les pratiques de productions responsables, durables, mises en œuvre du champ au brasseur, en nous appuyant sur la technologie blockchain. Les premières bouteilles seront en magasin dès janvier 2023. Les consommateurs pourront flasher un QR code qui indiquera d’où vient l’orge et les informera sur les pratiques agricoles et sur les exploitations où ont elle a été cultivée.
Cette filière occasionne-t-elle des surcoûts, une prime compense-t-elle les agriculteurs ?
A. d’A. : Il y a effectivement des conséquences en termes de prix d’achat pour nous. Nous payons plus cher les agriculteurs. Ce faisant, nous finançons une partie de la prise de risque, car nous ne souhaitons pas répercuter ce surcoût sur le prix de vente consommateur.
Marque pionnière, pays pilote
Pourquoi la 1664 a-t-elle été retenue pour cette première filière orge responsable ?
A. d’A. : 1664 est la première marque du groupe en volumes (10 % du marché français). Elle a été choisie par notre groupe innovation afin de maximiser l’impact du projet sur le plan environnemental, à même d’entraîner d’autres acteurs dans la même dynamique. C’est une marque qui défend le territoire français, elle a la certification Origine France garantie depuis 2011, depuis la création du label, qu’elle a d’ailleurs créé avec Yves Jego, ainsi que le cahier des charges de l’organisme Pro France.
L’orge française a-t-elle des particularités ?
A. d’A. : La bière est fabriquée avec de l’eau, du malt qui vient de l’orge ou du blé, ou des deux, et du houblon. Cette feuille en forme de cône ne représente qu’une quantité infime dans le produits fini mais en signe les caractéristiques organoleptiques, en lui donnant ses arômes et son amertume. D’orge, la France est le deuxième producteur du monde. Elle est une terre traditionnelle pour cette céréale grâce à de très bonnes conditions climatiques. La filière orge française s’appuie sur les travaux de l’Institut français des boissons, de la brasserie et de la malterie (IFBM) et sur l’expertise scientifique du laboratoire Secobra pour la sélection de nouvelles variétés d’orge. Elle est une filière d’excellence par l’expertise dans les recherches variétales et agronomiques sur l’orge.
Investissements nécessaires en usines
D’autres bières du groupe bénéficieront-elles de cette filière ?
A. d’A. : En août dernier, le groupe Carlsberg a pris l’engagement qu’à l’horizon 2040 la totalité des ingrédients qui entreront dans toutes ses bières seront issus d’une agriculture régénérative. La France est le pays pilote. Notre objectif est de construire une dynamique similaire pour le houblon alsacien contenu dans la 1664, le strisselspalt. À terme, toutes les marques de notre portefeuille [5] seront en mode agriculture régénérative.
Cette dynamique vertueuse mobilise-t-elle les salariés du groupe ?
A. d’A. : Nous mobilisons les compétences à tous les niveaux : les achats, les spécialistes des matières premières, les responsables innovation, le marketing, le développement durable, la production. Toutes les compétences sont à un moment donné mobilisées et doivent s’unir pour qu’un tel projet voie le jour et se pérennise. Il ne va pas sans complexité, avec par exemple la nécessité à la brasserie d’Obernai de trouver de la place pour un nouveau silo spécialement dévolu à l’orge issu de ces nouvelles pratiques.
Pour construire une filière malt de blé issu de pratiques agroécologiques, il faudrait, compte tenu de la quantité de blé insuffisante aujourd’hui, faire passer toutes les marques de notre portefeuille en blé responsable, sinon les quantités de blé marque par marque seraient trop faibles. Il faut chaque fois ajuster en fonction de la matière première et du débouché.
Par qui et comment ces bonnes pratiques sont-elles contrôlées ?
A. d’A. : Un système de certification environnemental de niveau 2 va être mis en place, nous nous appuyons sur la norme NF V30 001 001, anciennement nommée « charte de bonnes pratiques agricoles ».
Local contre bio ?
Un label est-il apposé sur les bouteilles et canettes ?
A. d’A. : Non, car s’il rassure le consommateur, le label enferme dans des normes qui peuvent être pénalisantes pour un projet appelé à évoluer Nous devons être en permanence dans le mouvement, dans une démarche de progrès continu.
Cette filière envisage-t-elle une offre bio ?
A. d’A. : Aujourd’hui, l’offre bio souffre, car les consommateurs s’en détournent au profit d’offres locales et surtout d’offres moins chères. L’une des difficultés rencontrées par les agriculteurs est qu’ils ont investi pour convertir leurs exploitations et se retrouvent en manque de débouchés. La transition est l’affaire de tous. Si nous voulons transformer en profondeur les systèmes agricoles, chaque maillon de la chaîne doit contribuer, de l’amont à l’aval.
Cette filière est-elle appelée à être partagée avec d’autres brasseurs ?
A. d’A. : On peut faire l’hypothèse que progressivement ce type de pratiques deviendra une norme, un standard commun à tous les agriculteurs.
Les consommateurs sont-ils informés de cette filière ?
A. d’A. : Les consommateurs sont informés par le QR Code. Nous espérons que les distributeurs réserveront à cette offre un bel accueil, car elle correspond à leurs propres engagements en faveur de l’agroécologie.