Vie des marques

Bonduelle : comment devient-on B-Corp ?

04/12/2023

En se positionnant non plus sur le seul légume mais sur le végétal, Bonduelle a donné une autre dimension à sa mission, et anticipé une tendance de consommation très en phase avec sa stratégie RSE. La certification B-Corp va formaliser et mesurer ses pratiques dans un processus d’amélioration continue. Entretien avec Céline Barral, directrice RSE, Bonduelle.

Un tiers de votre CA est déjà certifié B-Corp avec vos activités aux États-Unis et en Italie : pourquoi ne pas avoir commencé par la France ?

Céline Barral : Notre objectif est que toutes nos activités soient certifiées en 2025. Nous avons réparti le travail en trois phases. Deux entités se sont rapidement portées candidates – l’Amérique du Nord et l’Italie – avec des équipes et des directions générales très motivées. Nous les avons accompagnées notamment dans la préparation à l’audit ; cette première phase nous a permis de mettre un pied à l’étrier avec une entité importante outre-Atlantique et une autre plus petite en Italie. Nous avons ainsi appris un mode opératoire qui est déployé dans l’ensemble des entités du groupe. La France va arriver en phase deux en 2024.

Comment décririez-vous ces procédures désormais en place, quels en sont les principaux chantiers ?

C. B. : Nous sommes organisés suivant un calendrier très rythmé, indispensable pour un groupe de douze mille salariés présent dans de nombreux pays. C’est une gestion de projet à grande échelle avec une ressource centrale qui coordonne la certification en lien avec l’entité B-Lab qui gère la certification B-Corp. Puis nous avons dans chacun de nos pays des relais qui animent le projet et travaillent avec leurs ressources locales.

Nous avons commencé par faire de la pédagogie sur le sens de cette certification et ce qu’elle englobe. Car c’est probablement l’une des certifications les plus holistiques pour mesurer les progrès accomplis selon des feuilles de route qui vont de l’environnemental au social, avec des dimensions touchant tous les domaines d’activité de l’entreprise. Aucune fonction n’est épargnée, ce qui génère une grande mobilisation en interne.

Cette phase de compréhension de ce que signifie être une B-Corp est suivie d’une réunion de lancement avec les équipes où l’on échange sur la méthode, les ressources qui vont permettre de mener à bien la démarche de certification. Une phase d’évaluation permet ensuite d’établir un état des lieux par rapport à la grille de critères B-Corp et à sa notation par points.

Beaucoup d’entreprises s’arrêtent à cette phase, l’utilisant pour estimer leur degré de maturité quant à leur impact. Pour nous, viennent ensuite les plans d’actions pour progresser dans chacune des dimensions de façon itérative : plusieurs fois durant le parcours, nous réévaluons nos plans d’action jusqu’au moment où l’on se sent prêt à déposer officiellement notre dossier auprès de B-Lab. Ce processus peut prendre entre un et deux ans, selon la taille des entités. Alors commence la phase d’audit par B-Lab qui va examiner toutes nos informations pour, enfin, attribuer la certification.

Activité à impact positif intrinsèque

Cela vous amène-t-il à des changements immédiats pour obtenir la certification ainsi qu’à des mutations plus profondes pour la conserver ?

C. B. : Oui, bien sûr. Mais c’est d’abord une occasion de formaliser et de mesurer tout ce que l’on fait déjà très bien et d’instaurer une forme de discipline dans le suivi et la mesure de toutes nos initiatives. Bonduelle a déjà dans son ADN, depuis toujours, une connexion forte à ses parties prenantes, agricoles notamment, et une conscience environnementale élevée. Cela crée un socle solide. B-Corp nous aide à être mieux organisés dans nos pratiques, dans la mesure de nos performances et, en effet, à améliorer celles qui ne sont pas encore tout à fait au bon niveau.

Cette démarche de progrès nous conduit ensuite à élever nos pratiques et nos ambitions, ainsi qu’à faire émerger des projets nouveaux. Cela a été le cas quand nous avons formalisé notre politique d’engagement civique ou quand nous avons mis en place le recrutement inclusif. Ce n’est pas un sprint, c’est un marathon. La certification n’est qu’un début ; trois ans après, nous sommes évalués à nouveau. Mais, même si l’exigence reste là, cela devient presque une formalité anecdotique, car une fois que le processus est enclenché, il n’est pas possible de revenir en arrière. L’état d’esprit d’amélioration continue et de progrès porté par B-Corp imprègne les équipes et devient leur mode opératoire.

Parmi vos trois piliers RSE – alimentaire, planète, humain –, l’alimentaire semble prendre une place plus importante que dans d’autres entreprises agroalimentaires : pourquoi ?

C. B. : Bonduelle fait partie du petit nombre d’entreprises qui peuvent se dire qu’à chaque fois qu’elles vendent davantage elles contribuent à la santé des gens et à celle de la planète. C’est assez rare d’avoir une activité qui porte en elle intrinsèquement des leviers d’impact positif. Prenons l’exemple du carbone et de notre ambition de contribution à la neutralité : elle passe bien sûr par la réduction de nos émissions dans les usines, par des modes de culture plus respectueux qu’on appelle agriculture régénératrice et par un travail sur les emballages.

Cette partie est cruciale mais pas très originale. Ce qui est très particulier chez Bonduelle, c’est que nous vendons exclusivement du végétal. Donc, chaque fois que nous permettons à un consommateur de modifier son assiette, et d’y mettre plus de légumes, de légumineuses ou de céréales à la place de la protéine animale dont il a l’habitude, cela a un effet important sur sa propre empreinte carbone. De plus, les champs qui produisent nos légumes étant travaillés avec des principes de l’agriculture régénératrice, ils augmentent leur capacité à absorber efficacement le carbone de l’air.

Notre activité est donc intrinsèquement imbriquée dans notre feuille de route environnementale. C’est en cela que le sujet alimentation est crucial dans notre RSE. Il y peu d’entreprises qui peuvent avoir ce cercle vertueux, car la nature de leur activité ne le permet pas. Notre chance, c’est qu’en promouvant nos produits, nous participons à améliorer la santé des hommes et celle de la planète.

“Assiettes végétales invitantes”

L’innovation joue-t-elle un rôle particulier dans ce contexte ?

C. B. : Faire changer des pratiques alimentaires aussi ancrées dans la culture des consommateurs est très difficile. Leurs représentations culinaires sont issues d’un vécu, d’une culture, et comportent une grande part d’émotionnel. Pour parvenir à faire changer les habitudes, nous devons séduire avec de nouvelles assiettes végétales invitantes. Si l’on n’innove pas, les consommateurs ne peuvent pas imaginer différemment ce qu’ils vont cuisiner ou commander au restaurant. Renforcer l’attractivité du végétal permet de se projeter plus facilement dans un menu un peu différent, dans lequel le végétal est central et la viande moins présente.

Ce qui explique votre politique de développements de produits allant vers la solution repas complète ?

C. B. : Il y a beaucoup d’obstacles pour développer la consommation vers le végétal, notamment la méconnaissance de la manière de cuisiner le végétal. Les habitudes, les recettes phares, ne sont pas encore installées aujourd’hui dans le quotidien des mangeurs. Lancer des offres de repas complets, comme nos « lunch bowls », permet de montrer à quoi peut ressembler une alimentation végétale, d’abord avec des produits préparés, mais en suscitant l’appropriation de ces recettes par les consommateurs.

Après l’alimentaire, quels doivent être vos principaux efforts sur les piliers environnemental et humain ?

C. B. : Notre pilier planète-environnement a trois dimensions. Premièrement, les champs avec l’agriculture régénératrice, qui requiert la gestion de la ressource en eau et des intrants, mais aussi la formation des agriculteurs, dont le métier change. La moitié de nos agriculteurs sont déjà engagés dans ces pratiques ; notre objectif est de parvenir à 80 % en 2030. Deuxièmement, les emballages : si notre activité conserves profite d’un excellent recyclage, pour le plastique utilisé dans le frais notre ambition est d’éliminer tout matériau d’origine fossile vierge d’ici à 2030. Troisièmement, le carbone, qui est la somme des deux précédents en plus de nos sites industriels qui travaillent leur mix énergétique.

Concernant le pilier humain, nos indicateurs sont le taux d’engagement de nos salariés et le taux de fidélité de nos agriculteurs. Sur ce pilier « hommes et communautés », B-Corp nous permet de structurer et de mettre en place de nombreuses actions autour de la formation, du recrutement inclusif. Nous visons par exemple un objectif de 100 % de managers dotés d’un plan de développement individualisé et avons mis en place une démarche de recrutement pour rapprocher de l’emploi des gens peinant à se réinsérer dans le travail. Cela prend des formes diverses suivant les pays, mais il s’agit de rapprocher de l’entreprise des personnes qui se heurtent à une barrière à l’emploi.

Enfin, B-Corp a aussi permis à Bonduelle de structurer son plan d’engagement civique : cela consiste à permettre à nos salariés de mener des actions pour leur écosystème local durant leur temps de travail, en donnant du temps à des associations, des maisons de retraite… La démarche B-Corp en tant que telle a une influence très forte sur leur expérience et sur l’attraction des talents.

Regards extérieurs

Au-delà de l’interne, qu’apporte cette certification à vos parties prenantes : fournisseurs, prestataires, financiers, administrations… ?

C. B. : Le premier effet positif est qu’elle porte un œil extérieur sur notre feuille de route. Ce n’est pas Bonduelle qui déclare qu’il progresse. L’audit garantit l’authenticité de notre démarche de progrès. Cette indépendance est valorisée par la sphère financière, qui commence à regarder sérieusement l’impact des entreprises et ses performances extra-financières. Nous observons ce même intérêt chez nos partenaires commerciaux, même si aujourd’hui peu de grands distributeurs sont déjà dans cette démarche, parce que, pour une entreprise de grande taille, elle est complexe. Mais certains pourraient s’y mettre dans les prochains mois.

Reste un interlocuteur : le consommateur. Pour l’heure, cette démarche leur est inconnue : est-ce un inconvénient et pourriez-vous communiquer dessus ?

C. B. : Il est vrai que ce label est encore peu connu du grand public en France. Ce n’est pas le cas aux États-Unis : beaucoup de produits portent déjà le logo B-Corp, comme certains de nos produits “Ready Pac”. La notoriété aux États-Unis ou au Royaume-Uni s’installe et commence à monter en Espagne, en Italie ou en France, où des communautés B-Corp sont déjà importantes. Mais le défi de faire connaître B-Corp au consommateur reste réel. Chaque année, le mois B-Corp est activé dans tous les pays où la certification existe, pour s’adresser au BtoB mais aussi au consommateur final. Il y a eu des initiatives chez certains distributeurs en Angleterre ou en France, avec des corners B-Corp en magasin regroupant l’ensemble des produits labellisés, ainsi que sur certains sites d’e-commerce qui disposent d’un onglet produits B-Corp : ce sont des initiatives très intéressantes !

Comment allez-vous appliquer la directive européenne CSRD et la « double matérialité » ?

C. B. : Comme beaucoup, nous sommes en pleine exploration pour répondre à cette nouvelle réglementation qui sera exigeante. Nous commencerons à la mettre en œuvre pour notre exercice 2024-25 dans le document de référence publié en octobre 2025. Le reporting extra-financier prépare cette échéance en lien avec la direction financière. Le virage est déjà pris !  

Quel est votre calendrier pour devenir 100 % B-Corp ?

C. B. : En 2024, il va y avoir une vague importante avec la France, l’Allemagne, l’Espagne, ainsi que le Portugal et les Pays-Bas. En 2025,suivra le reste de notre périmètre en Europe centrale et de l’Est, puis nos sièges et notre entité brésilienne, pour parvenir à ces 100 %.

Propos recueillis par Benoît Jullien (Icaal)

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à l'utiliser, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies.